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adressait sa démission à lord Granville. Bref, les esprits étaient excités au plus haut point, et le public attendait avec une impatience fiévreuse l’ouverture du parlement ; on savait bien que lord John Russell, interpellé ou non à ce sujet, ne pourrait se dispenser de fournir des explications sur un événement qui avait ému l’Angleterre et l’Europe.

Le parlement se réunit le 3 février 1852. Dès la première séance de la chambre des communes, après le discours du rédacteur de l’adresse et du membre chargé de la soutenir, lord John Russell demanda la parole pour expliquer le changement opéré dans le ministère. Il exposa nettement tout ce que nous venons de raconter. Les idées politiques de lord Palmerston n’étaient point en cause, personne ne contestait le mérite supérieur du noble lord, les services qu’il avait rendus, le dévoûment qu’il avait montré à l’honneur et aux intérêts du pays ; il s’agissait seulement d’une question de droit constitutionnel,. il s’agissait des rapports du ministère avec la couronne. Ces rapports avaient été de telle nature que la reine, au mois d’août 1850, avait dû adresser un mémorandum à lord Palmerston pour le rappeler à l’observation des règles hiérarchiques. C’était lui, lord John Russell, qui s’était chargé de transmettre ce mémorandum à son noble ami ; il en avait donc assumé toute la responsabilité, il l’assumait encore pour la lecture qu’il allait en faire au parlement.

Cette lecture produisit une grande impression sur la chambre. Puisque la reine, si attachée à ses devoirs constitutionnels, avait jugé nécessaire de donner un tel avertissement à l’un de ses ministres, il fallait bien qu’elle y fût obligée. Lord John Russell avait beau couvrir ici l’autorité de la reine, c’était la reine, en dépit de la fiction, qui s’adressait personnellement aux députés des cammunes et condamnait lord Palmerston.

Celui-ci, quoique prévenu par lord John que le mémorandum serait lu au parlement, ne croyait pas que le chef du ministère pût se permettre une telle hardiesse ; il comptait sur ce décorum dont il s’était lui-même si souvent dispensé, il espérait que lord John n’oserait engager la reine dans le combat, et il avait préparé son discours en conséquence. L’audacieuse franchise de son adversaire déconcerta ses plans. Ce grand debater ordinairement si net, si vigoureux, armé de toutes les armes de la dialectique et de l’ironie, se montra languissant et embarrassé. L’esprit sans doute ne lui fit pas défaut, il eut çà et là des mots vifs et piquans, il provoqua les applaudissemens et les rires, quand il raconta que le jour même où avait eu lieu sa conversation particulière avec le comte Walewski, lord John Russell ne s’était pas gêné pour exprimer aussi son opinion personnelle, et une opinion bien peu différente de celle