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« Autres, à ce point de vue principal, sont les effets des taxes qui portent sur le sel, les farines et les boissons, et les effets des taxes qui portent sur les sucres, le savon, le papier, les matériaux de construction, ou encore les voitures de maîtres, ou sur d’autres consommations de luxe. » On peut dire que cette thèse, ainsi exposée par M. Passy avec la grande autorité qui lui appartient, est celle qui est généralement admise et à laquelle presque personne ne contredit.

Et pourtant ces impôts ainsi condamnés par la science, qui sont censés peser plus sur le pauvre que sur le riche, sont admis partout en Europe. Il y a même cette remarque à faire que plus les états sont riches et avancés en civilisation, et plus la contribution indirecte y prend d’importance par rapport à la contribution directe. En Turquie, la première fournit à peine le quart du budget; en Angleterre, elle en fournit les trois quarts. Il en est de même en France et en Hollande. « En Angleterre, a dit M. Thiers en 1872 dans un discours resté célèbre comme tous ceux qu’il prononçait, le progrès de la richesse est tel qu’en prenant une très légère part des fruits qu’il donne chaque année, l’état peut obtenir des sommes considérables sans apporter le moindre trouble dans les relations commerciales, tandis qu’en Turquie, pour avoir de l’argent en petite quantité, le gouvernement s’attaque aux sources mêmes de la richesse, le prélève non-seulement sur le revenu, mais sur le capital, ce qui diminue les forces productrices du pays et le condamne à une infériorité constante. » Cette contradiction de la pratique avec la science paraît bizarre. Il y a longtemps qu’elle existe. On n’a pas cessé dans le monde des savans de se récrier contre les taxes indirectes de consommation, d’en signaler l’injustice, et cependant elles se sont développées partout forcément comme si elles étaient liées au progrès général des sociétés. J’avoue pour mon compte que cette contradiction m’a toujours beaucoup frappé, et avant de joindre ma faible voix à ceux qui blâment les taxes indirectes, j’ai voulu étudier les choses plus à fond.


I.

Je comprends parfaitement que les gouvernemens soient très séduits par des taxes qui produisent beaucoup et se paient aisément : ce sont des avantages incontestables; mais, si on devait les acheter au prix de la violation de la justice et en apportant un obstacle sérieux au progrès de la richesse, il faudrait les repousser, car les sociétés sont tenues avant tout de respecter la justice et de favoriser le progrès; c’est leur premier devoir. Je sais bien qu’il y a des