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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/665

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plus, mais je paierai moins au fisc pour une consommation égale : j’achèterai mon vin en gros sans subir le droit de détail que paie le pauvre qui s’approvisionne au jour le jour, et quant aux droits sur le sel et sur le sucre, j’éviterai encore la surcharge qui résulte du bénéfice du petit intermédiaire. Le pauvre paraît donc grevé plus que le riche; ce sont des impôts progressifs à rebours. Telle est l’objection dans toute sa force et celle qui a le plus de prise sur les esprits, qui séduit même les hommes les plus éminens. On est frappé de l’idée que, l’impôt atteignant les choses de première nécessité, on ne peut pas s’y soustraire. C’est alors comme si on était atteint par une taxe directe. Avec l’impôt frappant les objets de luxe, au contraire, on ne paie que dans la mesure où l’on veut, et on a toujours la possibilité d’échapper.

Il serait vraiment bien fâcheux que les impôts de consommation générale eussent les défauts qu’on signale, car il faudrait les supprimer, et on ne saurait comment les rem;)lacer. Si on ne devait établir d’impôts que sur les objets de luxe, cela n’en vaudrait pas la peine ; la masse d’agens qui seraient nécessaires pour en assurer la perception coûterait presque autant que le produit qu’on en tirerait. On ennuierait les gens, on ruinerait certaines industries pour arriver à des résultats insignifians. Sait-on ce que rapporte la taxe sur les billards qu’on a établie avec grand bruit il y a quelques années, comme pour faire compensation à d’autres taxes plus productives qu’il avait fallu voter? Moins d’un million. L’impôt sur les chevaux et voitures donne environ 10 millions ; celui sur les cercles arrive à 1,400,000 fr. Cependant chacune de ces taxes est assez lourde pour les personnes qu’elle atteint. Il n’est pas indiffèrent même à un homme aisé d’avoir à payer, en plus de ses impôts ordinaires, 200 ou 300 francs pour sa voiture et ses chevaux, 50 ou 60 francs pour son abonnement au cercle. Il se peut que, pour éviter cette taxe spéciale, il renonce à l’une ou l’autre de ces jouissances, et s’il y renonce, voilà plus d’une industrie qui se trouve atteinte indirectement.

Les impôts somptuaires n’ont jamais rien valu et ont toujours coûté indirectement plus qu’ils ne rapportaient. Ils n’ont d’autre avantage que de produire un certain mirage, et de faire illusion à ceux qui ne jugent les choses qu’à la surface. Si on réunissait le produit de toutes les taxes de luxe que nous avons en France et même de celles qui existent en Angleterre, on serait étonné du peu qu’elles donnent : elles rapportent en France, en considérant comme taxes de luxe aussi celles qui atteignent le papier, les huiles, les savons, etc., environ 35 millions pour un budget de 2 milliards 1/2, et en Angleterre une quarantaine de millions. Qu’est-ce que ces sommes à côté de ce que produit la plus petite des taxes sur les objets de