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LA VIE ET L’ŒUVRE DE CERVANTES.

son dans la ville de Castro del Rio, par ordre de don Francisco Moscoso, corrégidor d’Ecija, pour y demeurer jusqu’après le remboursement du blé mal vendu. Le corrégidor faisait un abus de pouvoir. En sa qualité d’employé militaire, Cervantes, selon les lois espagnoles, n’était justiciable que d’un tribunal privilégié, le conseil royal de la guerre. Après quelques jours de détention, il fut mis en liberté sous caution, et dut aller à Madrid pour rendre compte de sa conduite. Autant qu’on en peut juger aujourd’hui, Cervantes n’avait fait qu’obéir aux ordres de son chef immédiat, Pedro de Izunza ; mais, au lieu de rejeter sur ce dernier la responsabilité du fait poursuivi, il l’accepta hardiment et ne s’appliqua qu’à démontrer la légalité, ou du moins l’utilité de la mesure qu’il avait prise. On ne connaît pas la décision du tribunal, mais il est à croire qu’elle lui fut favorable, car l’année suivante nous le voyons de retour en Andalousie et chargé par l’intendant Oviedo de faire de grands achats de blé aux environs de Séville. En 1594, il vint à Madrid, où il reçut une cédule royale à l’effet de recueillir les taxes et les droits régaliens dus au fisc, à Grenade et dans d’autres villes du midi, mission assez importante, comme il semble, et qui l’occupa toute l’année. Elle faillit lui causer de sérieux embarras. Il avait remis à un négociant nommé Simon Freire de Luna une somme de 7,400 réaux à verser au trésor. Cet homme fit banqueroute avant de s’être acquitté de sa commission, et Cervantes fut déclaré responsable. Heureusement, lors de la liquidation de la faillite, qui eut lieu en novembre 1596, il put être remboursé.

Bientôt après, nouvel accident. Obligé de rendre ses comptes à jour fixe, il se trouve à découvert de 2,641 réaux. La somme n’était pas considérable, mais il ne put se la procurer immédiatement, et le tribunal de la Contaduria mayor, dont la sévérité était alors célèbre, lui assigna un délai de vingt jours pour payer, et provisoirement le fit mettre en prison à Séville en septembre 1597. Peu après, en fournissant une caution égale à la somme réclamée, il fut rendu à ses affaires. Nous soupçonnons que Cervantes n’était pas un grand financier et qu’il n’avait ni l’ordre ni la méthode, qualités si nécessaires à un bon comptable. Nul soupçon d’ailleurs sur sa délicatesse. En sortant de prison, il conserva non-seulement sa place de commissaire royal, mais encore on voit qu’il était chargé par plusieurs familles de gérer leurs affaires. Il paraîtrait qu’il faisait des recouvremens pour des particuliers partout où le conduisaient les devoirs de son emploi.

L’emprisonnement de Cervantes à Séville est un fait parfaitement avéré ; cependant une tradition fort ancienne a changé le lieu de sa détention. Ce n’est plus Séville, mais le bourg d’Argamasilla, dans la Manche. Le Don Quichotte commence par ces mots : « Dans un