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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/866

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à la boutade de M. Burger que nous devons de pouvoir admirer aujourd’hui tout à notre aise « ce prodige de peinture? » Il l’avait bien jugé. Quoi qu’il en soit, la toile est désormais à belle place, sous l’œil même du spectateur, et c’est une merveille qui ne peut qu’ajouter à la gloire du peintre.

Mais ce n’est pas seulement sur le talent de Hals qu’elle nous renseigne, c’est, croyons-nous, sur lui-même. Nous l’avions vu d’abord au musée d’Amsterdam, assis avec sa femme, en plein soleil, au milieu d’un jardin, riant tous deux au nez du public avec un assez libre sans-gêne, puis nous l’avions retrouvé dans ce musée de Harlem, qui ne semble consacré qu’à sa gloire, mêlé cette fois aux officiers du corps des archers de saint George[1]. Le voici encore, car il nous paraît que c’est bien lui, une vingtaine d’années après, avec ses cheveux encore noirs, sa moustache en broussaille, son regard toujours ferme, et son air de gaillardise et de malice. C’est encore sa seconde femme qui est à côté de lui : une honnête figure de Hollandaise, un peu inquiète pourtant de ce mari, dont le renom n’est pas fameux et qu’il s’agit de maintenir au foyer domestique. Hals lui prend la main, et, comme s’il voulait la rassurer, d’un geste familier il lui montre les enfans qui les entourent et qui lui paraissent une attestation suffisante de sa fidélité conjugale. Il n’y en a pas moins de six en effet; les quatre plus petits se groupent à droite autour d’une corbeille de beaux fruits qu’ils sont en train de piller. Toute cette jeunesse est habillée des étoffes les plus fraîches, aux nuances harmonieusement réparties : gris perle, violet pâle, jaune pâle, abricot avec des revers bleus. De l’autre côté du ménage, deux garçons plus âgés sont vêtus de gris clair. L’aîné montre à son frère un dessin à la sanguine auquel il travaille. Les deux époux sont très richement parés, avec le luxe solide et grave qui convient à leur âge; des vêtemens noirs, mais de tissus variés et qui contrastent entre eux : soie, velours et satin. Le corsage de la femme est brodé d’or; le bas de sa jupe, d’un rouge bien plein, dépasse la robe et tranche sur le noir du costume. Leurs manches et leurs collerettes à tous deux sont d’un blanc atténué qui accompagne merveilleusement les chairs, et le modelé des visages et des mains est accusé avec une décision et uni largeur magistrales. Le couple a grand air sous ce portique d’une architecture très simple, auquel est accroché un ample rideau violet foncé, à franges d’or. Le ciel gris, légèrement teinté de jaune, un coin de jardin avec de vertes charmilles et l’horizon d’un bleu intense complètent le tableau.

  1. Musée de Harlem, no 58.