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quelques nuits blanches à la pluie et auvent, laisse en somme beaucoup de loisirs; parmi les émigrans qui se rendront à la frontière, il y aura beaucoup de déclassés plus enclins à contempler les étoiles qu’à arroser la terre de leurs sueurs. Il y aura cependant de vrais agriculteurs dans le nombre, il faut l’espérer. On peut dire pour leurs récoltes ce qui vient d’être dit pour la laine; il faudra en réduire le volume et en augmenter la valeur pour les vendre avec avantage. Le maïs par exemple est une plante essentiellement argentine. Ces grandes plaines semblent faites pour lui; il y donne des résultats surprenans. Si l’on essaie de l’expédier eu nature, le voyage vaut plus cher que la marchandise; transformé en alcool, il peut supporter les frais d’une longue route, et ce n’est pas une grosse affaire, ni qui demande un matériel bien compliqué, que la transformation du maïs en alcool. Le combustible est tout trouvé, on le retire en plaquettes du corral des brebis. Une fois séché, il a une odeur ammoniacale fort déplaisante; mais, comme production de chaleur, il vaut presque la houille. La culture de graines oléagineuses et de certaines plantes textiles pourrait donner lieu de même à l’établissement d’usines eu miniature, qui seraient le complément de l’agriculture et lui donneraient tout son essor. C’est la création de ces industries rudimentaires que l’on doit surtout encourager. Par une heureuse fortune, ce coin de la province est le seul où l’on rencontre de gros ruisseaux et des terrains en pente, c’est-à-dire de la force motrice à bon marché. Le gouvernement de la nation et celui de la province sont également préoccupés de la colonisation de ces nouveaux territoires, et à très juste raison. Diriger vers la frontière le courant de l’émigration, c’est faire évanouir les Indiens comme un mauvais rêve : ils n’aiment pas les centres de travail sédentaire; ils témoignent surtout à l’agriculteur européen beaucoup de respect, ils savent qu’il entoure son champ de barrières gênantes pour des cavaliers, et qu’abrité derrière les murs de brique de sa maison, il tire fort juste. Ce résultat vaut bien un effort et quelque dépense. Ce ne sont pas seulement les estancias formées à l’arrière-garde des colonies qui en profiteraient. Le peuplement de la frontière aurait, même sur la politique extérieure, une influence très marquée; il abrégerait au profit de la république argentine l’interminable discussion qu’elle tient ouverte avec le Chili, et qui prend de temps à autre une vilaine tournure.

Le fond du différend est connu des lecteurs de la Revue[1]. Il s’agit de territoires contestés vers la pointe du continent américain, aux abords du détroit de Magellan. Le Chili, dont la marine

  1. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1875, les Conflits de la république argentine avec le Brésil et le Chili, par M. Emile Daireaux.