Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/914

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

survenant aurait tout à coup desséchée dans son germe. Hélas ! vers 1795 déjà, les contemporains eux-mêmes étaient vivement frappés et si profondément humiliés de la décadence littéraire, de la décadence du théâtre surtout, que le Moniteur n’en pouvait trouver le secret que dans « une conspiration de Pitt et de Cobourg » organisée pour l’avilissement de la scène française. On rit beaucoup, et l’on a raison, d’une tragédie de l’académicien Brifaut : — c’était un Don Sanche, — qu’il fallut transporter du jour au lendemain d’Espagne en Assyrie, parce qu’il ne convenait pas à l’empereur, en ce temps-là, que des choses d’Espagne fussent mises au théâtre. Mais, en vérité, de qui se moque-t-on ici? car sans doute ce n’était pas la faute de l’empereur, ni même de la censure, si l’intrigue tragique de Brifaut était assez banale, ses caractères assez effacés, son style assez décoloré pour que ce ne lui fût qu’un jeu de métamorphoser son roi de Léon et de Castille en potentat babylonien. Là-dessus on citera Chénier : « Veut-on que l’art dramatique se soutienne? Il faut lui donner beaucoup de latitude. » Mais ce n’est pas tout pour voler que d’avoir l’espace libre ouvert devant soi, l’espace immense, et le principal est encore d’avoir des ailes.

C’est une chose assez étonnante que dans un temps comme le nôtre, où l’histoire aspire à devenir au sens propre du mot « une science, » elle continue toutefois, du milieu des conditions si nombreuses et d’un entrelacement si confus, qui toutes sont également nécessaires à l’explication des faits, d’en dégager et d’en détourner arbitrairement une seule pour l’élever à la dignité de ce qu’on appelle une cause. Il n’y a pas de causes dans la science, il n’y a que des conditions. Nous admettrons donc volontiers que les rigueurs du régime impérial aient pu contribuer pour une part à la stérilité littéraire de l’époque ; mais prétendre qu’elles en seraient la cause unique et l’explication suffisante, c’est une opinion politique, c’est une manière de purger sa bile, ce n’est pas une opinion littéraire. Une compagnie de grenadiers n’eût-elle jamais chassé de l’orangerie de Saint-Cloud cinq cents législateurs, un pape ne fùt-il jamais accouru du Vatican pour couronner dans Notre-Dame un soldat victorieux, nous osons croire qu’Esménard ne fût pas devenu un grand poète et que Luce de Lancival n’en eût pas eu la tête plus épique.

Nous louerons donc très franchement M. Merlet d’avoir ici gardé la mesure et d’avoir eu le courage, mieux encore, le bon goût, de ne pas vouloir faire avec tant d’autres sa partie dans ce concert de récriminations surannées. Il a très bien vu que d’autres causes avaient préparé la décadence, il l’a dit et il l’a montré. Qu’il nous permette seulement de lui reprocher de n’avoir pas poussé plus