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Virgile de Didot, Gérard, Girodet, Chaudet, Guérin, poussent la pureté du trait jusqu’à la sécheresse, la sévérité de la composition jusqu’à la froideur et à l’ennui. De par David, tout ce qui est charme, grâce, pittoresque, imprévu, est impitoyablement proscrit. Quand Moreau lui-même, au commencement du XIXe siècle, entreprit de refaire, selon le goût nouveau, les illustrations de Voltaire, il semble qu’il ait été touché par la baguette d’une mauvaise fée. Seul, Prud’hon, cet antique égaré dans cette école compassée et conventionnelle, sut rester naturel et conserver la vénusté corrégienne. Ses figures pour Daphnis et Chloé marquent au nombre des plus belles illustrations. À cette époque, les graveurs enchérissent encore sur le style glacé des dessinateurs. Le trait, sec et raide, manque de souplesse et de vie; le contour est découpé comme à l’emporte-pièce; les tailles s’alignent, ondulent et sa croisent avec la régularité de grenadiers prussiens à la parade. L’ensemble, tué par le détail, disparaît. Les fonds, travaillés à l’égal des premiers plans, mais à dessein moins poussés au ton, ont l’air de planches usées. Il n’y a plus ni relief, ni air, ni effet. Tout cela peine et sent l’huile. Que nous sommes loin de la manière libre et large des graveurs du XVIIIe siècle ! La gravure de l’empire est remplacée par celle de la restauration, qui vaut moins encore avec son aspect gris, ses tailles déliées comme des cheveux et sa facture léchée, idéal de la gravure anglaise. Aussi on peut dire que si certains ouvrages de ce temps, illustrés par Desenne et par Devéria, sont aujourd’hui recherchés, c’est malgré leurs figures et non à cause de leurs figures.

La décadence de la gravure sur acier devait amener la renaissance de la gravure en bois. L’école romantique, en ressuscitant le XVIe siècle dans ses arts comme dans sa littérature et dans son histoire, contribua surtout à ce renouvellement. Beaucoup des livres de la grande période de 1830, les romans, les drames, les poésies de Victor Hugo, d’Alfred de Vigny, de Théophile Gautier, d’Alexandre Dumas, de Jules Janin, d’Alphonse Karr, sont ornés de petits bois dus à Tony Johannot, où la gravure traitée par larges tailles a l’attrait et le caractère d’un croquis de peintre. Un chef-d’œuvre en ce genre est le Roi de Bohême, cette brillante mystification littéraire de Charles Nodier. Bientôt on demanda à la gravure en bois de véritables livres de luxe : ces grands in-8o ornés de cinq ou six cents figures dans le texte. Le Molière et le Don Quichotte de Johannot succèdent au Gil Blas de Jean Gigoux, au Gulliver et au La Fontaine de Grandville. Puis ce sont les histoires de Napoléon illustrées par Raffet, Charlet, Horace Vernet, Notre-Dame de Paris, où rivalisent Ed. de Beaumont, Louis Boulanger, Camille Roqueplan, ie Juif errant, où Gavarni se surpasse, la Physiologie du goût, où Bertall se révèle, l’Iliade, que Titeux et Devilly interprètent avec la vraie science de l’antique, Napoléon en Égypte, que Hippolyte Bellangé traduit d’un