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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 24.djvu/95

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tout le premier, le méprisaient. Malgré tant de causes de mort, le dogme, ou, si l’on veut, la fiction de l’infaillibilité royale a résisté victorieusement. Qu’est-ce donc qui l’a sauvée ? Faut-il répéter ici, avec les théoriciens dont nous parlions tout à l’heure, que le tempérament de la nation anglaise a conjuré le péril ? Ce serait expliquer d’une façon trop commode, et par une sorte de fatalité physique, ce qu’un juge très compétent, le conseiller de la reine Victoria, explique bien mieux par des raisons morales. Le tempérament de la race britannique, si opposé qu’il soit au tempérament de la France, n’explique absolument rien dans le cas dont il s’agit. Est-ce que, pendant la régence de celui qui devint George IV, il n’y a pas eu très souvent des émeutes, des manifestations menaçantes ? Est-ce que les troupes du roi, dans maintes villes d’Angleterre, n’ont pas dû réprimer la révolte à coups de sabre ? Est-ce que le sang n’a pas coulé à Manchester le 16 août 1819 ? Est-ce que le 13 septembre de la même année, l’un des chefs radicaux, le démagogue Hunt, traduit en justice, puis relâché sur caution, n’a pas fait une entrée triomphale à Londres, au milieu d’une assistance de 300,000 personnes ? Enfin, les semaines suivantes, aux mois de septembre et d’octobre, dans les comtés manufacturiers d’Angleterre et d’Ecosse, à Glasgow, à Paisley, est-ce que l’autorité n’a pas dû recourir à la force pour dissiper la multitude ? Aucun-peuple d’ailleurs n’est plus jaloux de ses droits que le peuple des îles impériales, aucun n’est plus disposé à vouloir du sérieux dans le souverain, comme Labruyère disait de l’ancienne France. Comment donc la maison de Brunswick-Hanovre, après avoir tant fait pour se perdre, a-t-elle été préservée des catastrophes qui ont ruiné des familles bien autrement glorieuses ? Comment et par qui a-t-elle été sauvée du naufrage ? Par la force du régime constitutionnel sérieusement pratiqué. Le roi est méprisé ; qu’importe ? La royauté est supérieure à tout. Des ministères se succèdent suivant la volonté de la nation, et toutes les grandes réformes s’accomplissent.

Ainsi s’accomplirent les réformes d’Angleterre, même sous des rois qui auraient pu causer le renversement de la monarchie. Nous ne faisons que développer ici les indications fournies par le conseiller de la reine Victoria. Si de 1814 à 1830, et surtout de 1830 à 1848, la France avait eu une suite de ministres comme ceux qui, dans tel ou tel sens, whigs ou tories, ont gouverné la nation anglaise, la monarchie constitutionnelle se serait implantée en France aussi solidement qu’en Angleterre ; et si de 1688 jusqu’à nos jours l’Angleterre n’avait pas eu des ministres, bons ou mauvais, habiles ou malhabiles, mais du moins connaissant tous le devoir constitutionnel, par conséquent résolus à couvrir le souverain ou prêts à se retirer, l’Angleterre aurait été comme la France un