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toutes parts aussi se forme une conscience publique de plus en plus pressante, impérieuse, demandant à quoi tiennent ces impossibilités, où est la raison sérieuse de ces conflits obstinés et irritans, comment il se fait qu’un pays qui n’aspire qu’à vivre, qui a des lois, des institutions et qui s’y soumet, peut être conduit à des alternatives violentes qu’il désavoue d’avance par sa sagesse.

S’il y a une chose évidente, en effet, c’est que, depuis le commencement jusqu’à la fin, cette crise qui vient de se dérouler, dont la société française tout entière est ébranlée, ne répondait à rien, ni à quelque danger imminent, ni à des alarmes plus ou moins sincères des intérêts conservateurs, ni à un mouvement quelconque d’opinion dans le pays. Tout au contraire : il y a dans le pays un tel besoin d’ordre, de paix et de vie régulière, qu’il est visiblement porté à répudier toutes les agitations et les excitations, sous quelque forme ou sous quelque drapeau qu’elles se produisent. Il ne demande qu’à être respecté et ménagé dans son existence laborieuse ; au point où il a été conduit par d’effroyables catastrophes, il craint surtout de nouvelles aventures extérieures ou intérieures. La république constitutionnelle, telle qu’elle a été organisée, a en pour lui ce caractère et ce mérite de lui offrir une transaction acceptable pour tous, un régime de modération allant les garanties conservatrices les plus sérieuses à des prérogatives de liberté parlementaire qui n’ont certes rien d’excessif, qui ne dépassent pas ce qui existe dans toutes les monarchies constitutionnelles. Avec ce régime sincèrement, loyalement pratiqué, sans passion de parti, sans esprit d’exclusion, dans l’intérêt du pays, tout était possible et tout reste encore possible.

Où donc était la nécessité de violenter ce régime dans ses premiers pas, et, sous prétexte de se prémunir contre des agitations et des dangers qui n’avaient rien de menaçant, de déchaîner des agitations immédiates, d’engager un combat à outrance qui ne pouvait avoir d’autre issue qu’une défaite humiliante ou une victoire périlleuse? Les hommes audacieux et subtils qui ont pris la direction de l’entreprise, qui en gardent la responsabilité, croient sans doute avoir tout dit quand ils ont essayé de prouver qu’ils sont restés dans les strictes limites du droit constitutionnel, qu’ils n’ont touché à aucune loi. Il se peut que rigoureusement ces habiles politiques aient su jouer avec la légalité de manière à la tourner et à l’éluder sans la violer ouvertement; mais c’était assurément une étrange interprétation de se servir des lois contre les lois, de chercher dans les institutions de la rt-publique un moyen d’assurer le triomphe de tous les ennemis de la république, d’abaisser les plus simples règles du régime parlementaire devant une autocratie présidentielle ou ministérielle impatiente de conquérir le pays, malgré lui et au besoin contre lui. Voilà ce qu’on a fait depuis six mois! C’est du moins ce qu’on a tenté sans pouvoir réussir, sans arriver à enlever