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duré cinq mois, elle avait commencé par des victoires éclatantes, et pas un instant le chef turc ne s’est laissé entamer sérieusement. Au point où il en était, son sort dépendait du secours que des armées extérieures pouvaient lui porter. Privé de tout secours, menacé de manquer de vivres et de munitions, disposant d’une armée aguerrie, mais déjà fort éprouvée, il n’avait plus qu’une dernière ressource : essayer de se frayer un chemin à travers les lignes d’investissement. C’est ce qu’il a fait sur plusieurs points à la fois, attaquant la partie de la ligne gardée par les Roumains et quelques-unes des positions russes. La lutte paraît avoir été acharnée et sanglante. Osman-Pacha n’a pas réussi; ses troupes ont été repoussées, il a été blessé lui-même au milieu de l’action, à la tête de ses soldats, et il s’est rendu avec son armée! Ainsi tombe cette ville de Plevna qui jusqu’ici n’avait pas même un nom dans la défense traditionnelle de la Bulgarie, qui n’est devenue une place forte que par la vigueur d’un chef habile improvisant tout en quelques jours, et qui telle qu’elle était a coûté aux Russes cinq mois d’efforts et bien près de cinquante mille hommes. Osman-Pacha a fait ce qu’il a pu pour tenir tête à un puissant adversaire, il l’a fait énergiquement, habilement, et le coup le plus grave pour les Turcs, c’est moins la prise d’une ville que la perte de cette armée, la meilleure qu’ils aient eue depuis le commencement de la campagne. Sans doute la Turquie n’est pas à bout de forces pour sa défense : elle a l’armée de Méhémet-Ali à Sofia, elle a dans le quadrilatère l’armée de Suleyman-Pacha, qui vient d’avoir un succès, et par le fait elle n’a perdu aucune des places fortes proprement dites de la Bulgarie, ni Roustchouk, ni Silistrie, ni Choumla, ni Varna. La Turquie peut combattre encore si elle le veut; mais aujourd’hui les Russes vont pouvoir disposer de toutes les forces qu’ils avaient consacrées à enlever avant tout, coûte que coûte, Plevna. Ils ont laborieusement conquis leur succès, ils l’ont conquis néanmoins; ils sont désormais libres dans leurs mouvemens, et ils peuvent sans péril lancer une partie de leur armée au-delà des Balkans, sur la route d’Andrinople.

La lutte devient maintenant plus que jamais inégale, et à ce point où en sont aujourd’hui les hostilités, avant qu’elles aillent plus loin, avant que la continuation d’une guerre implacable soit décidée, ne va-t-il pas y avoir quelque tentative de pacification, soit par une négociation directe entre la Russie et la Turquie, soit par une médiation quelconque de l’Europe? La Russie est satisfaite aujourd’hui dans son orgueil militaire, elle a déployé sa puissance et constaté son ascendant en Europe comme en Asie, elle ne peut pas se refuser à une paix qui, dans tous les cas, sera certainement digne de ses efforts. De son côté, la Turquie elle-même s’est assez relevée par sa défense, elle a montré assez de vigueur et de fierté au combat pour pouvoir négocier sans déshonneur. La question est de savoir à quelles conditions cette paix désirable est possible, quelles sont les intentions réelles, les prétentions du cabinet de Saint-Pétersbourg.