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première fois qu’on essaya une meute nouvellement montée pour le cerf, mon père fut invité, quoiqu’il ne fût pas de service. C’était à Fontainebleau. Il y eut quelque temps de perdu au début ; le cerf détourné avait vidé l’enceinte ; les chiens le rapprochaient lentement. Pendant ce temps, l’empereur mit pied à terre et, la bride de son cheval à la main, commença à parler chasse. Mon père, grand amateur, lui expliqua par le menu comment on s’y prenait pour faire le bois et toutes les rubriques de la chasse à courre. Le cerf lancé, on partit. Quelques heures après, les chiens tombèrent en défaut ; nouvelle halte de l’empereur et de sa suite, nouvelle conversation, a Maréchal, dit l’empereur à Berthier, qui était son grand veneur, je parie que vous ne comprenez rien à ce qui se passe. Vous croyez peut-être que ces gens qui courent à cheval en donnant du cor avec ces chiens qui les suivent ne savent ce qu’ils font, et que, si nous relançons notre cerf, comme je l’espère bien, ce sera un hasard ; pas du tout c’est très savant la chasse à courre, presque aussi savant que la guerre. » Et là-dessus il répéta, d’une façon très exacte et très animée, tout ce qu’il venait d’apprendre l’instant d’auparavant. Il lui échappa cependant quelques erreurs. Mon père les releva en riant. « Ah ! monsieur d’Haussonville, vous êtes mon maître, mais pourquoi me trahissez-vous auprès du maréchal ? Avouez cependant que j’ai bien retenu vos leçons. » Cela était vrai. Mon père fut depuis invité à toutes les chasses ; l’empereur le questionnait sur le mérite de ses piqueurs et de ses chiens. Mon père lui disait ce qu’il en pensait. « Dites donc cela à Berthier. » Mon père n’en faisait rien, mais le grand maréchal du palais Duroc, avec lequel il était lié, lui disait de temps en temps : « Vous devriez demander à l’empereur de rétablir la grande-louveterie. » Que cette idée vint de Duroc ou de l’empereur lui-même, mon père fit semblant de ne pas comprendre. Nommé chambellan sans l’avoir souhaité, presqu’à son corps défendant, il ne se sentait pour le nouveau régime et pour son chef aucun sentiment incompatible avec les obligations de sa charge, mais il ne se souciait pas de recevoir, encore moins de solliciter, une de ces faveurs personnelles qui imposent la reconnaissance et le dévoûment comme un devoir. Mon père avait d’ailleurs plutôt du goût pour l’empereur, qui l’avait évidemment distingué parmi ses chambellans, car il le faisait continuellement mettre de service hors de son tour, et le traitait en toute occasion avec beaucoup d’affabilité. Les personnes qui approchaient l’empereur félicitaient mon père de cette constante bienveillance qui n’était pas également accordée à tout le monde. Elles s’étonnaient sinon de la familiarité, personne n’en a jamais eu avec lui, du moins de l’aisance avec