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paladin qui ne comprend seulement rien à l’œuvre que j’accomplis. Ah ! M. de Chateaubriand ne se plaît pas dans la France que je lui ai faite. Eh bien, qu’il aille vivre ailleurs ! .. »

Cependant ces sorties, dont l’écho n’allait pas assez loin, ne suffisaient pas à son dessein. Au dimanche suivant, quand l’empereur sortit de son cabinet pour se rendre à la messe avec la famille impériale, son regard parut chercher quelqu’un parmi la foule de ceux qui attendaient pour le saluer au passage. Il se fixa bientôt sur M. de Fontanes que ce regard parut pétrifier, et qui, plus mort que vif, semblait vouloir entrer tout entier dans la muraille contre laquelle il cherchait à s’effacer. L’empereur s’avança doucement vers lui, avec ce dandinement d’une jambe sur l’autre qui lui était particulier. Tous les yeux étaient grands ouverts, toutes les oreilles tendues ; on pressentait la tempête. Arrivé devant M. de Fontanes, dont les genoux tremblaient, il s’arrêta, haussa par trois fois les épaules, aussi lentement et aussi haut qu’il les put lever : Grands enfans ! Pauvre France ! dit-il à demi-voix ; puis il reprit son chemin. Les personnes qui n’avaient pas perdu toute pitié s’empressèrent autour de M. de Fontanes resté comme affaissé sous ces paroles. Pareilles scènes ne peuvent jamais être oubliées de ceux qui les supportent. Ceux qui se les permettent ont-ils plus tard le droit de crier à l’ingratitude ?

Mon père fut nommé, en 1811, candidat au corps législatif pour l’arrondissement de Provins ; il l’apprit par le journal. L’usage voulait qu’on fît des visites aux sénateurs qui choisissaient, parmi les candidats, les députés définitifs ; mon père l’ignorait, et n’en fit pas. Les sénateurs crurent qu’il n’avait pas voulu, en sa qualité de chambellan, accomplir cette formalité ; il ne fut pas choisi.

Mon père était de service auprès de l’empereur quand il partit pour la campagne de Russie. À son retour, dans les circonstances que chacun sait, mon père fut encore désigné. L’empereur, qui avait toutes les espèces de mémoires, lui dit : « Mais vous étiez déjà de service quand je suis parti. » Et puis aussitôt, venant comme à l’ordinaire au faubourg Saint-Germain : « Ils croient avoir des raisons d’être contens dans votre faubourg ; mais ils se trompent encore cette fois ; je rétablirai mes affaires, j’en ai rétabli de plus difficiles. Au reste, c’est leur intérêt que je réussisse, qu’ils le sachent bien, et qu’ils se conduisent en conséquence. » Depuis ce retour de Russie, l’empereur, quoiqu’il affectât beaucoup de confiance, semblait avoir perdu toute tranquillité d’esprit. Il était agité et nerveux. Ses partisans, son entourage, étaient évidemment inquiets. Mon père m’a raconté que, à la séance d’ouverture des chambres législatives, l’empereur fit un léger faux pas en montant