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malheur de ce soldat vaincu. Le grand-duc Nicolas, rencontrant Osman-Pacha blessé et couché sur un mauvais chariot, est allé aussitôt vers lui et lui a serré la main en le complimentant de ce qu’il a justement appelé « un des plus brillans faits d’armes des annales militaires. » Le tsar lui-même a reçu et traité le général turc avec la plus sérieuse courtoisie. Les officiers de l’état-major russe se sont plu à témoigner leur estime pour un tel adversaire. Le respect des vainqueurs accompagne le fier et valeureux soldat qui s’est battu pendant cinq mois sans rien dire, qui est tombé simplement, héroïquement l’épée à la main, et qui, aujourd’hui captif, laisse à son pays le lustre d’une défaite glorieuse, l’honneur des armes intact.

La chute de Plevna peut certainement marquer une phase décisive dans cette guerre d’Orient. Elle ne résout rien par elle-même, il est vrai, et, à tout événement, des deux côtés on se prépare à des luttes nouvelles. Les Russes, avec les masses dont ils disposent et dont, une partie n’est plus immobilisée sur un seul point, peuvent tout à la fois masquer les places du nord des Balkans et se tenir prêts à descendre au premier signal dans la Roumélie. Le gouvernement ottoman, à son tour, semble n’avoir d’autre pensée que de laisser des garnisons suffisantes dans les citadelles du quadrilatère et de concentrer ses forces au sud des Balkans, autour d’Andrinople, dont il organise sérieusement la défense. Il est obligé de toute façon à cette demi-retraite, puisqu’il n’a plus seulement sur les bras les Russes et les Roumains. Voici les Serbes qui, battus l’an dernier et épargnés par les Turcs, finissent par croire le moment opportun pour rentrer en campagne, se figurant obtenir quelques faciles avantages et avoir leur part de butin dans la curée de l’empire ottoman ! La situation se complique et se resserre. Les rigueurs de l’hiver, qui ont coïncidé avec la chute de Plevna et qui suspendent à demi les opérations militaires, peuvent cependant offrir une dernière chance en laissant quelques semaines à un travail pacifique. La Porte, quant à elle, n’a point hésité à saisir cette occasion de se tourner vers les puissances européennes et de provoquer de leur part quelque tentative de médiation. Le divan, sans trop préciser ses propositions ou ses idées, semble reprendre la situation au point où elle était au moment de la conférence de Constantinople, lorsque le tsar désavouait toute pensée de conquête, lorsqu’on ne parlait que de réformes intérieures en Turquie, et à coup sûr, si les intentions répondaient toujours aux déclarations, on pourrait encore s’entendre. Malheureusement depuis la conférence de Constantinople tout a changé. Plus de 100,000 hommes ont péri ; les soldats du tsar sont au-delà du Danube, sur les Balkans, les Turcs sont à Andrinople au lieu d’être encore à Plevna. La guerre a accumulé les complications et les difficultés. Il s’agit aujourd’hui de savoir quelles conditions nouvelles la Russie entend mettre à la paix, dans quelle mesure elle serait disposée à accepter une