Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

souffrance pourtant n’était que trop sérieuse. Après que les entretiens, les souvenirs évoqués, les revues d’un passé lointain, les récits de Belgique, de Grèce, de Londres, de Windsor, avaient réveillé pendant une heure ou deux la flamme de son esprit, la nuit se faisait plus noire dans le cerveau du malade. La douleur physique, écartée un instant, revenait à la charge,

Comme un poids soulevé qui retombe plus lourd.

Ces souffrances ne pouvaient l’arracher aux cruelles préoccupations que lui causaient ses amis de Windsor et du château de Laeken. Il s’associait silencieusement à l’affliction inconsolable de la reine Victoria. En 1863, le roi des Belges ayant ressenti les premières atteintes du mal qui devait l’emporter, ce fut pour Stockmar un nouveau tourment. Il avait été le médecin de Léopold avant d’être son confident et son ami. Allait-il survivre à son vieux maître, comme il avait le malheur.de survivre au jeune ? Un magistrat de Cobourg étant parti pour la Belgique au mois de mars 1863, Stockmar, qui lui enviait cette consolation, écrivit au roi cette lettre si tendre, si douloureusement tendre :


« Le brave et intelligent Forkel se rend à Bruxelles : il aura, je l’espère, le bonheur de voir le bon et vénéré roi, si durement éprouvé. Il y a longtemps que je n’ai eu de lui aucune nouvelle directe ; au reste, quand je n’apprends rien du tout, je suis plus tranquille, je suis moins troublé dans les vœux quotidiens de ma pieuse affection, que les jours où de mauvaises nouvelles viennent se railler de ma foi et de mon espérance. J’avoue que je n’étais pas préparé à une vieillesse aussi dénuée de consolations. Souvent, très souvent, je l’avoue, je me sens près du désespoir. Les mystères de cette vie me deviennent d’heure en heure plus accablans. Et cependant il est clair que nous sommes ses enfans et que le père doit avoir pour nous un cœur. C’est à ce cœur que je m’adresse toujours, c’est le cœur divin que je conjure de vouloir bien, dans sa toute-puissance et sa miséricorde, adoucir les souffrances du bon et bien-aimé roi. Amen. »


Nous n’avons pas la réponse de Léopold aux effusions de son vieil ami ; nous savons seulement, touchant détail, que le bon roi n’était pas en retard dans sa correspondance ; il avait écrit la dernière lettre, c’était Stockmar qui lui en devait une. Stockmar s’empresse de s’acquitter en retirant bien vite l’espèce de reproche amical insinué dans son billet :


« Le bon roi a tout à fait raison. Il m’avait écrit le dernier, et je n’avais pas répondu. C’est l’effet d’une souffrance profonde et continuelle d’enlever aux vieilles gens aux vieux infirmes, l’usage de leurs facultés.