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tels que Rœderer et Merlin, issus du barreau ; ceux-ci, comme Daunou, ayant reçu la libérale et forte éducation que donnait alors la compagnie de l’Oratoire ; ceux-là, comme Lakanal, ayant commencé par le professorat, mais tous animés du même esprit et ayant entendu de bonne heure et avec joie ces bruits d’indépendance, ces rumeurs de révolution qui avaient agité le siècle et pénétré partout, même jusqu’au fond des cloîtres. Leur biographe montre en effet que, pour le grand rôle auquel les destinaient les événemens, ils s’étaient en quelque sorte désignés eux-mêmes par avance. Dès 1788, l’Académie de Berlin ayant appelé l’examen sur les bases de l’autorité paternelle, Daunou, da fond de son cloître, n’hésita pas à traiter cette question en philosophe et en opprimé. « Lorsqu’on examina sérieusement, dit-il, si celui que la dévotion de son père a fait moine est tenu à ne point quitter ce genre de vie, l’ignorance et la superstition avaient effacé toute idée d’ordre et de justice. » On sent dans cet écrit, dit M. Mignet, les approches d’une révolution. On y reconnaît l’homme qui devait saluer avec enthousiasme l’événement libérateur, embrasser tous les principes de 1789 et contribuer puissamment à leur triomphe. Avant même de publier sur les privilèges et sur le tiers-état les trois fameux écrits qui deviendront « le symbole politique de la révolution, » Sieyes n’avait pas seulement arrêté les principes qui le guidaient, mais aussi les institutions qu’il voulait proposer et le langage même dont il devait se servir. On en jugera par cette anecdote caractéristique : « En 1788, dans un de ses fréquens voyages de Chartres à Paris, raconte M. Mignet, Sieyes se promenait un jour aux Champs-Elysées avec M. de Talleyrand. Il fut témoin d’un acte de brutalité commis par le guet, qui était alors chargé de la police de Paris : une marchande occupait dans les Champs-Elysées une place d’où le guet l’expulsa violemment. Tous les passans s’arrêtèrent et firent éclater des murmures ; Sieyes, qui était du nombre, dit : Cela n’arrivera plus lorsqu’il y aura des gardes nationales en France[1]. » Longtemps avant la réunion des états-généraux, Rœderer publiait à Metz un écrit dans lequel, repoussant l’ancien mode d’élection par classes, il ne voulait que des députés de la nation et il demandait « une assemblée unique dont les membres seraient élus par les suffrages du plus grand nombre, dont les pouvoirs seraient souverains et dont les décisions seraient prises à la pluralité des voix qui bannit seule l’arbitraire des lois comme les lois bannissent seules l’arbitraire du gouvernement. » Merlin consacrait, les quatorze années qui ont précédé 1789 à se former par de fortes préparations au rôle considérable qu’il joua dans les assemblées publiques. « Semblable, dit M.

  1. Notices et portraits, t. 1er, p. 74.