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1782, George avait écrit à Shelburne une lettre où il disait : « Je désirerais, s’il était possible, être débarrassé de Gibraltar et augmenter nos possessions des Antilles, car depuis qu’il est question de la paix, je souhaite que nous puissions échanger ces avantages purement nominaux pour des possessions qui puissent devenir pour ce pays, grâce à une bonne administration, des avantages solides. »

L’impatience et la défiance de John Adams et de Jay l’emportèrent sur les instructions du congrès et les remontrances de Franklin, et le 30 novembre 1782 les plénipotentiaires américains signèrent un traité avec l’Angleterre sans consulter M. de Vergennes. Traité provisoire, il est vrai, faisait remarquer Franklin pour excuser un procédé si peu délicat ; mais l’excuse était misérable, car le jour où l’Amérique et l’Angleterre étaient réconciliées, la paix s’imposait aux autres belligérans. En effet, au mois de janvier suivant, la France et l’Espagne signèrent un traité sur les mêmes bases.

L’Angleterre n’a jamais conclu de paix qui n’ait pas été violemment attaquée. Les traités de Ryswick, d’Utrecht, d’Aix-la-Chapelle, de Paris, avaient été dénoncés avec passion ; celui de 1783 ne rencontra pas un meilleur accueil. C’est une des conditions nécessaires pour soutenir la guerre que de surexciter le patriotisme et de rabaisser les forces et les droits de l’ennemi ; aussi quand on est contraint de traiter, on se trouve en présence d’une opinion publique affolée, qui ne veut pas admettre l’infériorité du pays et qui poursuit les pacificateurs comme des lâches ou des traîtres qui déprécient les ressources nationales dans un intérêt personnel. L’opposition ne manqua pas d’exploiter ces dispositions avec plus d’habileté que de souci des intérêts du pays. Fox, qui avait été si amer contre North, qui l’avait traité d’homme sans honneur, sans honnêteté, et qui avait autorisé à l’appeler le plus infâme des hommes, s’il se rapprochait jamais de ce ministre funeste, ne résista pas au plaisir des rois, au bonheur de se venger, et il entra dans une coalition impure qui n’était inspirée que par des passions, sans un principe commun. Pitt n’a jamais prononcé une parole plus vraie que lorsqu’il s’écria : « Ce n’est pas le traité qu’on attaque, c’est lord Shelburne qu’on veut blesser et renverser. » Les amis du roi, que les projets d’économie de Shelburne avaient froissés, voyant le ministère aux abois, crurent le moment opportun pour lui arracher quelque faveur, la garantie de leurs traitemens et de leurs sinécures, et ils demandèrent sans pudeur à quel prix on achèterait leur appui. Shelburne répondit fièrement que l’approbation du parlement ne devait pas être achetée, qu’elle devait être accordée librement ou pas du tout. On agita un moment la question de dissoudre le parlement ; mais ces mesures ne réussissent que lorsqu’elles se font au