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Je pus le terrasser enfin sous mon genou ;
Puis, tandis qu’il roulait ses pauvres yeux de fou
Et que sous moi ses flancs ronflaient comme une forge,
Je lui plongeai trois fois mon couteau dans la gorge...
J’avais tué mon seul et mon premier ami !

Comment je fus trouvé plus tard, mort à demi
Et tout couvert du sang que vomit le cadavre,
Par les hommes d’un brick qui retournait au Havre,
Qu’importe ?

Depuis lors, j’ai bien souvent tué ;
En guerre, n’est-ce pas ? on s’est habitué.
Je fus du peloton, un jour, à la Barbade,
Qui devait fusiller mon meilleur camarade ;
Et cela ne m’a pas donné le cauchemar.
Sous le contre-amiral Magon, à Trafalgar,
Ma hache a bien coupé, pendant les abordages,
Plus de dix mains d’Anglais s’accrochant aux cordages ;
Je n’y pense jamais, pas plus qu’au peloton.
A Plymouth, j’ai plongé, pour m’enfuir du ponton.
Mon poignard dans le dos à deux factionnaires,
Et sans m’en repentir jamais, mille tonnerres !
Mais, d’avoir évoqué ce souvenir ancien.
De vous avoir conté le meurtre de mon chien,
Je ne dormirai pas de la nuit, et pour cause...

Garçon, un second grog, et parlons d’autre chose.

FRANCOIS COPPEE.