m’afflige pas tant pour le roi que pour le pays : il cesserait de souffrir et éviterait un avenir que les passions des partis menacent de lui rendre bien amer. Tu ne saurais te figurer combien le pauvre jeune homme souffre de se voir grossièrement insulté par les journaux… Je connaissais son excellente nature, je ne l’avais jamais cru aussi bien qu’il est. Je l’ai vu gémir sous le poids des calomnies, jamais je n’ai entendu sortir de sa bouche une menace quelconque, un désir de vengeance, une parole de haine. Je te le répète, il est excellent, et sa mort serait une grande calamité. Je ne doute pas que, les troubles actuels une fois passés, la nation ne finisse par l’apprécier et l’aimer ; mais avant d’en arriver là, combien n’aurait-il pas à souffrir ! .. » C’était le témoignage de l’affection fidèle, avant le règne, dans un moment où ce prince de vingt-neuf ans, porté ou jeté sur le trône par une catastrophe, encore inconnu de son peuple, était près de périr sans avoir rempli son destin.
Lorsque l’honnête Dabormida, qui depuis a été plus d’une fois ministre dans des heures difficiles, parlait avec cette émotion de son prince et de son pays, tout semblait perdu, même le-roi. Avec l’ennemi campé sur le sol, l’armée à demi détruite ou démoralisée, les passions intérieures déchaînées, le souverain en péril de mort, on pouvait se croire à la veille de quelque « crise terrible » qui eût peut-être changé le cours de l’histoire. Et cependant c’est de cette situation extrême, presque désespérée, qu’est sorti l’avenir. Les nuages se sont dissipés. La défaite n’a pas été seulement adoucie et réparée, elle s’est transformée en victoire. Le Piémont ne s’est pas seulement recueilli et relevé dans sa petite indépendance, il est devenu l’Italie. Deux choses ont contribué à ces résultats extraordinaires. Au moment où il était obligé de se courber sous la défaite, de payer des rançons, le Piémont avait gardé un seul avantage, qui pouvait, il est vrai, aider à tout reconquérir : il avait conservé ses institutions libres, son parlement, son régime constitutionnel, et en même temps il avait rencontré des hommes patriotiquement sensés, résolus à profiter d’une expérience désastreuse et à ne pas se décourager pour un mécompte. D’Azeglio, le premier président du conseil après Novare, disait tout bas : « Nous recommencerons ! » La Marmora, bientôt ministre de la guerre, écrivait dans l’intimité : « Il me semble que le but auquel nous devons tendre maintenant, c’est de travailler pour l’avenir. » Cavour, qui allait éclipser tout le monde, répétait en se frottant les mains à son entrée au ministère : « Nous ferons quelque chose. »
Le mot d’ordre était le même, l’idée de se remettre à l’œuvre animait tous ces esprits généreux et déliés ; mais, à dire vrai, rien n’eût été possible, s’il n’y avait eu au palais de Turin ce jeune prince heureusement relevé de maladie et assez bien inspiré pour comprendre son temps, pour placer sa royauté naissante sous les plis de ce drapeau où