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arrive, et, pendant qu’il se débotte, on vient l’avertir que sa sainteté l’attend au palais des Seize. Introduit en présence du pape, Michel-Ange fléchit le genou : « C’est donc à nous, s’écrie alors Jules II en le regardant de travers, — c’est donc à nous, maintenant, de venir te chercher ? » Michel-Ange implore son pardon, mais en toute franchise et dignité ; le pape hésite, et c’est ici que la scène évolue et tourne au burlesque. L’évêque chargé d’amener Michel-Ange, jugeant à propos d’intervenir et de l’excuser, fit alors cette observation remarquable : que les artistes étaient pour la plupart des ignorans et des gens incapables de comprendre quoi que ce soit en dehors de la pratique de leur art, ce qui devait valoir à celui-ci l’indulgence de sa sainteté, — et le bonhomme eût, selon toute apparence, continué sur ce ton-là, si le pape, donnant à son indignation un autre cours et virant de bord, ne se fût écrié : « L’ignorant, imbécile, c’est toi, qui te permets d’insulter cet homme et de lui dire ce que moi je n’oserais. Trêve d’éloquence, et va-t’en au diable ! » Ce pontife rageur, batailleur, crossant tout le monde, et l’homme de génie qui lui tient tête, et le sot qui vient imprudemment fourrer son doigt entre l’arbre et l’écorce, c’est du comique à la Molière, et puisque nous sommes en Italie, j’ajouterais à la Cimarosa.

Jules II avait travaillé pour la papauté, Léon X, qui lui succède, travaillera pour sa famille. Ce fils de Laurent le Magnifique, en arrivant au trône de saint Pierre, ne pouvait faire moins que protéger à son tour dans Michel-Ange la créature de son glorieux père et l’enfant de Florence. Non loin du cloître des dominicains de Saint-Marc et dans le voisinage de leur maison de ville, les Médicis avaient un grand jardin où Laurent s’était complu à rassembler des statues, des bas-reliefs et toute sorte de fragmens antiques, à lui venus par héritage et par acquisition. Ge jardin joue un peu dans l’histoire de la renaissance le rôle des platanes d’Académus : sculpteurs, peintres, musiciens et poètes s’y donnaient rendez-vous[1], les uns dessinant d’après le modèle, les autres étendus dans l’herbe et discourant à l’ombre des pins au murmure des fontaines. Là se rencontraient Pic de la Mirandole et Savonarole ; là Squarcialupi

  1. Michel-Ange avait à cette époque environ dix-sept ans, et Laurent lui permettait d’avoir dans sa poche la clé de ce jardin ou de cette école des beaux-arts en plein air que fréquentaient en même temps les élèves de Ghirlandajo et le jeune Torrigiano, de qui Michel-Ange, dans une querelle de rapins, reçut au milieu du visage ce coup de poing historique dont l’écrasement de son nez porta depuis témoignage sa vie durant. À la suite de ce bel exploit, provoqué par un sentiment de rivalité, Torrigiano dut quitter Florence, et la faveur de Michel-Ange ne fit que grandir. Il habitait au palais, mangeait à la table du prince et touchait une pension mensuelle de cinq ducats tandis que son père était placé dans les douanes.