ou des incapables ; puis, à certain moment, élus et réprouvés, il chassait tout, et peignait seul.
Michel-Ange a travaillé sous huit pontificats, et son attitude fut toujours grave, digne, bien que parfois altière et sillonnée d’éclairs. L’empereur, le roi de France, le sultan, Venise et Florence se le disputent. Entouré d’un cercle d’élèves incessamment renouvelé, il représente aux yeux du siècle la souveraineté du grand art, une royauté qui lui valut bien des honneurs publics et des jouissances intimes, mais qu’il dut payer aussi par des amertumes sans nombre. L’envie, qui sous les traits de ses camarades d’atelier s’attachait à ses talons dès les premiers pas dans la vie, le harcela jusque dans l’extrême vieillesse. Nous le verrons pendant le règne de Paul IV vouloir se démettre et s’en retourner à Florence pour avoir eu vent qu’un Pizzo Ligori avait raconté que décidément « le pauvre Michel-Ange était en enfance, » et plus tard encore une lettre qu’il adresse en 1560 au cardinal di Carpi nous le montre exaspéré de ce qu’on l’accuse de ne plus suffire à sa tâche, et réclamant sa mise en disponibilité dans les termes les plus acerbes. Rappellerai-je sa joute avec Léonard de Vinci et les misères dont fut traversé son triomphe ? Il avait, lui, à peine trente ans, et Léonard touchait à la cinquantaine ; l’un et l’autre s’étaient donné pour tâche d’exécuter deux vastes cartons représentant les combats victorieux de Florence avec Pise : œuvres capitales qui semblaient, selon les contemporains, résumer en elles tout l’art italien. La ville s’était divisée en deux camps, il y avait le parti de Michel-Ange et le parti de Léonard de Vinci, ce dernier moins nombreux peut-être et moins prompt à l’escrime, puisque Léonard à la suite de ce qu’il regardait comme un insuccès quitta Florence, et de mécontentement vint en France. Et dire que de ces deux merveilles, rien n’a subsisté ! Un envieux confrère, un méchant, le sculpteur Bandinelli, lacéra l’œuvre de Michel-Ange ; une nuit, pendant les troubles de l’an 1512, il s’introduisit dans la salle et mit en pièces le carton. Déjà la statue de David n’avait-elle pas subi pareil outrage, insultée, assaillie chaque nuit à coups de pierres et sauvée seulement d’une destruction complète par la protection de sentinelles apostées sur place ? Tant d’animosités, d’atroces haines, étaient bien pour incliner une âme à la misanthropie, et si Florence n’eut pas cette fois son Timon comme Athènes, c’est qu’il y avait en Michel-Ange des trésors de bonté et que le travail lui faisait tout oublier.
Son travail ! il n’avait autre chose en vue ; mieux vaudrait dire son idéal, et si bien l’idéal qu’il se refusait à faire des portraits : copier un individu lui paraissait une tâche inférieure ; nous savons aussi comment ce grand atrabilaire détendait parfois ses nerfs. Il se plaisait à causer entre amis, écoutait volontiers un air de viole,