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loi médiocre que de l’esprit qui l’avait inspirée, de ce qu’elle cachait, de la politique dont elle semblait être le gage, de l’attitude et des alliances du ministère, de la révolution et de la contre-révolution qui se retrouvaient en présence. Tous les partis se jetaient dans la mêlée avec leurs drapeaux et leurs mots d’ordre, les uns s’armant de l’attentat du 13 février, des périls de la royauté, les autres invoquant les libertés menacées, la charte mise en interdit. Les orateurs se multipliaient, — d’un côté M. Pasquier au nom du ministère, M. de Villèle, M. Corbière, portant au cabinet le secours intéressé de la droite, — du côté opposé, Manuel, Benjamin Constant, Foy, disputant le terrain pied à pied. Première bataille gagnée laborieusement par le ministère à une modeste majorité de dix-neuf voix ! — A peine la loi sur la liberté individuelle avait-elle passé, la lutte renaissait plus ardente encore sur le rétablissement de la censure des journaux. Elle était d’autant plus vive, d’autant plus passionnée, que la tribune avait une retentissante complice dans la presse, qui se sentait à la veille d’être réduite au silence, et ce qu’il y avait de grave, c’est que les libéraux, qui passaient alors pour avancés, commençaient à n’être plus seuls au combat. Les doctrinaires, à leur tour, entraient en scène. Royer-Collard avait beau promettre de se contenir, il laissait échapper son humeur morose en appelant les lois d’exception « des emprunts usuraires qui ruinent le pouvoir, alors même qu’ils semblent l’enrichir. » Des hommes de l’intimité de Royer-Collard, et liés comme lui au gouvernement par des fonctions, ne déguisaient plus la vivacité de leurs défiances et de leur opposition. Camille Jordan, qui était conseiller d’état, et qui n’avait plus qu’un souffle de vie, se traînait à la tribune pour protester contre un système qu’il accusait « d’abuser des émotions publiques pour en imposer à la raison publique, » qu’il représentait comme « réunissant tous les traits qui pouvaient blesser le plus profondément l’instinct national. » Et Camille Jordan ajoutait d’un accent ému : « Pour moi du moins, j’aurai rempli mon devoir par cette expression publique de mon vote ; j’aurai donné à ma patrie et à mon prince le dernier témoignage de fidélité. Quels que soient les sacrifices qu’il puisse me coûter, il servira à répandre la consolation sur les derniers restes d’une existence affaiblie. » M. Pasquier avait de la peine à effacer l’impression de ce qu’il appelait dans ses lettres la « douce et lamentable éloquence » de Camille Jordan.

Cette seconde bataille pour la censure des journaux, le ministère la gagnait encore comme il avait gagné la première pour la suspension de la liberté individuelle ; mais il n’en avait pas fini, il n’en avait jamais fini ! une dernière bataille, la plus décisive de toutes, restait à livrer pour cette réforme du système électoral, qui avait