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que rien n’était irréparable, qu’un rapprochement serait encore possible ; mais on avait été trop divisé de sentimens et de pensées depuis quoique temps, on s’était trop blessé ! Camille Jordan surtout avait profondément froissé le ministère, le garde des sceaux, par son attitude presque violente à l’occasion des troubles de Paris. Il y avait des positions prises de part et d’autre, et de cette situation même, qui survivait à la crise aiguë des premiers jours de juin, naissait une question qui allait achever la rupture. Royer-Collard, Camille Jordan, M. Guizot, étaient conseillers d’état ; M. de Barante était directeur des contributions indirectes. Les uns et les autres avaient des fonctions de l’état, et restaient à des degrés divers des alliés de l’opposition. Le gouvernement devait-il accepter que les mêmes hommes fussent à la fois des fonctionnaires et des adversaires ? On était alors si novice, si chatouilleux sur ces actes de parti, que la question coûtait à résoudre !

Le duc de Richelieu, plus particulièrement irrité, insistait pour les mesures de rigueur à l’égard de ceux qu’il considérait désormais comme des ennemis. Quelques autres ministres hésitaient à la pensée de frapper de tels hommes, et en songeant que l’appui des doctrinaires ne leur serait pas inutile contre les exigences de la droite. De Serre, malgré les griefs qu’il croyait avoir, eût certainement voulu maintenir ses anciens amis dans leur position, et ce n’est qu’avec peine qu’il se résignait à annoncer, avec des nuances différentes, à Royer-Collard, à Camille Jordan et à M. Guizot qu’ils n’appartenaient plus au conseil d’état. « C’est avec douleur, disait-il à Royer-Collard, que cette main qui a si souvent serré la vôtre remplit le devoir de vous annoncer qu’il a été impossible de vous conserver sur le tableau du service ordinaire du conseil. Je n’ai admis cette impossibilité qu’après de longs combats intérieurs ; mais vous savez que je n’avais épargné ni soins ni prières pour que nous vissions des mêmes yeux les périls de la royauté… Vous avez vu le danger, vous avez obstinément et vivement contrarié tous les efforts du gouvernement pour y échapper… J’espère que plus tard l’énergie naturelle de votre esprit vous sortira d’erreur et que vous serez amené par la générosité de votre caractère à nos premières et meilleures déterminations… » Et en même temps il annonçait à Royer-Collard que le roi, qui n’oubliait pas « ses services et son dévoûment, » lui accordait le titre de conseiller d’état honoraire avec une pension de 10,000 francs sur le sceau. — Les lettres à Camille Jordan et à M. Guizot étaient plus officielles ou moins cordiales, quoiqu’il y eût un dernier témoignage d’égard et de regret. Quant à M. de Barante, le plus sage, le plus modéré des doctrinaires, il était mis à part : il avait une