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et c’est pourquoi, à défaut de grivoiserie équivoque à la manière de Sterne, il se trouve dans cette nouvelle une pointe de gaîté parisienne très accusée qui nous a fait songer qu’il y avait là un excellent sujet de vaudeville pour quelqu’une de nos scènes où règne le comique burlesque. Comment notre auteur ne s’en est-il pas aperçu, et comment nos vaudevillistes ont-ils laissé échapper ce sujet ? Quel rôle fait à souhait pour tel acteur au nez célèbre que l’homme enrhumé ! que feue Mme Thierret eût été majestueuse dans ce rôle de l’Anglaise qui, sur le bateau à vapeur du Rhin, où pleuvent les rhumes de cerveau, s’empare des mouchoirs de poche des passagers en vertu de ses prérogatives de femme. A l’histoire de l’homme enrhumé s’en trouve accolée une seconde plus sentimentale et qui veut être plus touchante, sans doute encore pour unir, à l’imitation de Sterne, les pleurs au rire et la mélancolie à la gaîté, — celle d’un petit orphelin russe ; mais cette fois la pièce sérieuse ne vaut pas la farce, qu’elle n’aurait réussi qu’à gâter, si cette dernière n’avait pas été si bien trouvée et si franchement rendue qu’elle a pu supporter sans dommage ce voisinage sentimental.

Stahl s’est beaucoup occupé de l’amour et des femmes, et il a fait de cet attrayant et inépuisable sujet le thème de divers opuscules, l’Esprit des femmes et les femmes d’esprit, De la jalousie, etc. On y trouve beaucoup d’esprit, un idéal élevé et une expérience pratique qui est mainte fois en contradiction avec cet idéal. L’auteur y parle de l’amour avec un sérieux respect, et des femmes en galant homme qui ne semble pas avoir eu trop à se plaindre d’elles, et qui ne tient pas trop à se rappeler cet instructif prologue des Mille et une Nuits où l’on voit une sultane assez habile pour tromper en pleine solitude du désert et sans sortir du coffre où elle a été emprisonnée le méchant génie sous la garde duquel elle a été placée. Il y règne cependant un certain mécontentement de leurs ruses et de leurs finesses, mais ce mécontentement sans amertume est celui d’un homme heureux, et s’explique peut-être d’ailleurs par l’âge qu’avait l’auteur lorsqu’il écrivit ces opuscules, c’est-à-dire les approches de quarante ans, ce qui est chez les hommes l’âge de la crise, selon le mot si bien trouvé par Octave Feuillet pour définir ce délicat moment psychologique. Les hommes ont en effet leur heure de crise comme les femmes, seulement, tandis que chez les femmes la crise se compose de regrets pour le roman que leur honnêteté n’a pas eu, chez les hommes elle se compose de crainte pour les romans qu’ils redoutent de ne plus faire. Il vient un jour où quelque ride, quelque cheveu blanc, ou tout autre signe physique donnent à l’homme la certitude qu’il est moins aimable, et où quelque accueil plus froid ou quelque abord plus