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porteront jusqu’au terme de leurs jours la tache de la bâtardise, ou la qualification, plus terrible encore, étant plus ineffaçable, d’enfans de l’adultère. L’histoire de Laure, charmante petite princesse italienne séparée d’un mari infâme, et de son très loyal amant, Max Rigault, nous fait apercevoir quelques-unes de ces souffrances, inévitables même dans les fautes les mieux justifiées. Si, comme le prétend Shakspeare, le cours de l’amour vrai ne fut jamais paisible, que dire de celui de l’amour illégitime avec ses cataractes mugissantes, ses tourbillons dangereux, et ses déplacemens de rives causés par la digue des lois et les barrières de l’opinion ?

Est-ce donc qu’il n’y a pas, qu’il ne peut pas y avoir de bonnes fortunes heureuses ? Si, mais c’est à des conditions que ne comportent guère d’ordinaire les aventures auxquelles est donné ce nom a la menteuse gaîté : celles de n’exister que pour l’âme et de se pas recevoir de réalisation charnelle. Le cœur n’est pas toujours libre de ses choix et de ses préférences ; il peut donc y avoir des désirs, même illégitimes dans leur principe, qui soient la source et l’occasion des plus nobles vertus. Ce n’est pas après tout la passion qui est un mal, c’est l’obéissance à la passion. Deux êtres séparés par des devoirs inexorables se sont rencontrés par hasard et se sont reconnu comme à la lueur d’un éclair une parenté d’âme qui les rendait dignes l’un de l’autre ; au lieu d’obéir à l’attrait qui les poussait à se rapprocher, ils se sont écartés de la faute à commettre comme d’une souillure et se sont fuis aussitôt comme deux ennemis, chacun emportant au fond du cœur une image ineffaçable et une tristesse où le repentir n’entre pour rien. Leur récompense est d’être hantés par ce souvenir comme par un bon fantôme qui les protége contre toute tentation analogue à celle dont ils ont triomphé. Tout désormais leur paraît vulgaire de ce qui ne répond pas à cet amour sans faiblesse sur lequel ils règlent leurs vies. Ils ne connaissent pas leurs noms, ils ne savent pas en quels lieux leurs destinées réciproques s’accomplissent, cependant ils agissent comme s’ils étaient placés sous le regard l’un de l’autre, qu’ils fussent tenus d’éviter tout ce qui pourrait leur faire perdre de leur mutuelle estime, et de rechercher au contraire tout ce qui pourrait augmenter leur amour. Véritable bonne fortune en effet celle-là, puisqu’elle est génératrice de noblesse et ouvrière de perfectionnement moral. Mais que viens-je donc d’écrire ? Est-ce par hasard une analyse de quelque théorie issue de Platon ou de quelque poème issu de Pétrarque ? Non, je viens de résumer très exactement, dans toute sa charmante délicatesse, une nouvelle qui est parmi les meilleures des Bonnes fortunes parisiennes, — les Amours d’un pierrot, dont le titre carnavalesque est probablement choisi