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exceptionnel encore que la précédente, nous montre un second genre de bonnes fortunes qui peuvent avoir une influence bienfaisante sur la vie, celles qui s’obtiennent à l’âge où l’on ignore la signification de ce mot si gai et si triste, les bonnes fortunes d’enfans, les meilleures de toutes. Celles-là au moins sont franches et pures, et celui qui en est favorisé, s’il avait l’art de s’interroger, aurait bon droit d’en être fier, car les arrière-pensées de l’égoïsme et du vice n’y entrent pour rien. Que la nature naissante y parle avec innocence ! que l’âme qui s’éveille y a de spontanéité ! C’est la limpidité d’un fleuve à sa source, la vivacité du premier rayon dans la fraîcheur du matin. Et qui ne sait l’heureuse action éducatrice de ces tendresses enfantines, et quels germes de pensées nobles, de sentimens délicats et d’habitudes décentes elles peuvent déposer dans les jeunes cœurs qui en sont touchés ! Le héros de la nouvelle de Stahl est un notaire qui n’a eu qu’une seule bonne fortune en sa vie, et cela à cet âge indécis où l’adolescence commencé sans que l’enfance soit achevée. Je ne gâterai pas par l’analyse ce charmant récit, lisez-le, et vous y verrez comment M. Pouff, — c’est le sobriquet donné au futur notaire par un oncle fantasque à cause d’une corpulence précoce qui permet de deviner en lui un futur émule de Lablache pour la majesté, — ayant été dans son jeune âge expédié sans mentor à des parens d’Allemagne, fit rencontre entre Verviers et Cologne de Mlle Loulou, jeune artiste chorégraphique, attachée à la troupe des célèbres petites danseuses viennoises qui eurent jadis un si grand succès ; comment les deux enfans lièrent connaissance avec la familiarité sans défiance de leur âge ; comment cette familiarité devint camaraderie à Cologne au déjeuner, amitié fraternelle au souper, amour dévoué sur la route de Leipzig, et comment, lorsqu’ils se séparèrent dans cette dernière ville, c’est-à-dire au bout de deux jours, ils en étaient à l’intimité confidentielle des vieux amans, le tout, cela va sans dire, en parfaite innocence. A quelque temps de là, la petite danseuse se brûla pendant une représentation où elle avait un rôle principal, et mourut après avoir écrit une lettre d’adieux désespérée à son ami Pouff, qui en eut une méningite, et, se consacrant à ce souvenir, passa de cet amour enfantin au mariage sans vouloir jamais connaître d’autre bonne fortune. C’est un vrai tour d’adresse que cette nouvelle, qui frise à chaque instant l’équivoque sans y tomber jamais, et fait penser à ces gravures naguère à la mode où l’on voyait des enfans, en costumes d’autrefois, faire la répétition des scènes galantes et mondaines de la vie élégante. Le personnage de la petite danseuse, avec son gentil argot, sa liberté d’allures et sa précoce expérience, communique à ce gracieux enfantillage un tour d’attachante