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c’est toujours entre deux guerres, souvent pendant la guerre, que, sous le rapport dont il s’agit, ils eurent à faire leurs preuves. Mais par cela même, et quelle que fût la portée de leur esprit ou la puissance de leur génie, ils furent réduits aux rôles de préparateurs de guerres prochainement attendues et d’organisateurs d’armées disposées pour l’action, prochaine. Le temps, les moyens d’examen et de comparaison, la liberté d’esprit, tous les élémens et tous les instrumens de création que produisent les longues paix, leur manquèrent pour être les fondateurs de ces institutions qui sont la sauvegarde de plusieurs générations, et les mettent en état de préparation constante devant tous les événemens possibles de la guerre. Ceux d’entre eux qui, à ce point de vue, servirent le mieux l’avenir n’apportèrent aux institutions qu’un contingent de forces relatives, bornées à la création de nouveaux établissemens militaires, à de nouveaux règlemens, à de nouvelles lois. Plusieurs de ces innovations furent très utiles au développement de certains services et à ce que nous appelons « l’organisation de l’armée. » Quelques-unes, notamment en ce qui concerne « l’administration de l’armée, » furent des contre-sens qui faussèrent les vrais principes. Aucun de ces actes gouvernementaux ne fut inspiré par les vues d’éducation militaire nationale et d’intérêt patriotique supérieur qui, si la France veut reprendre son rang dans le monde, feront désormais et pour toujours de l’armée la première de ses institutions sociales et politiques. La visée de ces hommes d’état en cette matière ne s’élevait pas beaucoup au-dessus de celle-ci : obtenir de la nation, pour le temps le plus long possible, le plus de soldats qu’on pouvait, par tous les moyens qu’on supposait ne devoir pas dépasser la mesure de sa résignation. Toutes les guerres de l’empereur Napoléon Ier, celles du milieu de l’empire spécialement, celles de la fin exclusivement (où la mesure de la résignation nationale fut dépassée), se firent sur ces données et d’après ces procédés, qui n’ont aucun rapport, on le reconnaîtra, avec les institutions dont j’ai défini le principe, que je ferai connaître plus tard par leurs noms en indiquant les moyens de les fonder.

C’est ainsi que les institutions militaires, œuvre laborieuse et féconde de la paix, furent en quelque sorte remplacées en France par la légende, œuvre brillante et éphémère des guerres heureuses. La légende offrait à la nation et à ses armées un excitant, spécialement approprié à la vivacité et à la mobilité des imaginations françaises. Violemment servie par la publicité, elle concluait des succès du passé aux succès de l’avenir, faisant de la victoire française un article de foi qui semblait dispenser l’armée de l’étude, du travail et de l’effort Elle affirmait et prouvait notre supériorité militaire, ne permettait à