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éclater au sujet de nos institutions. On discutait le passé de la France comme s’il se fût agi de son présent et de son avenir.

Le point le plus vif du débat était de savoir si les impôts que l’empire romain avait établis en Gaule avaient survécu à cet empire. L’affirmative était conforme à la thèse de l’abbé Dubos ; la négative l’était à la thèse de Montesquieu. Dubos accumula les textes et les faits ; Montesquieu lança ses argumens les plus impérieux. De nos jours, l’érudition est un peu plus libre de parti-pris. Elle ne regarde pas s’il importe à telle ou telle cause que les impôts romains aient péri ou aient duré. Les raisonnemens a priori sont pour elle de peu de valeur, et les documens seuls font autorité. Or les documens, qui ne laissent pas d’être fort nombreux pour l’époque mérovingienne, ne permettent pas de douter que les rois francs n’aient conservé les impositions de l’empire. Non-seulement les écrivains du temps ne nous disent jamais qu’elles aient été abolies, mais ils en signalent même le maintien dans les termes les plus clairs. Grégoire de Tours, par exemple, montre Chilpéric ordonnant la levée de l’impôt foncier et faisant réviser les rôles de répartition. Il mentionne un comte de la cité de Tours qui avait mission de percevoir l’impôt, et un juif qui s’était chargé d’en avancer l’argent. Nous possédons la formule de nomination des comtes mérovingiens, et nous y lisons qu’un de leurs devoirs est de recouvrer tout ce qui est dû au fisc. Un grand nombre de diplômes nous montrent les rois exemptant de l’impôt telle église ou telle abbaye, exemption qui ne se comprendrait pas si le paiement de l’impôt n’avait pas été la règle générale. Enfin les chroniques signalent plusieurs fois les contributions publiques pendant les cent soixante années qui suivirent la mort de Clovis. Il était trop commode de dire que les Francs étaient des peuples simples et pauvres qui ne pouvaient pas inventer « l’art de la maltôte ; » ils ont su tout au moins ne pas l’abolir.

La persistance des impôts ne peut donc plus être l’objet d’un doute ; mais ici se présente une seconde question qui est plus difficile à résoudre. Comme il y avait sur le même sol des Gallo-Romains et des Francs, on peut se demander si l’impôt ne distinguait pas entre les races, et si les Francs y étaient soumis comme les Gallo-Romains. Il est vrai qu’en ce qui concerne les contributions indirectes, aucune distinction n’était établie entre les deux races. On ne doute pas que les Francs ne fussent assujettis aux douanes, aux péages, au droit de gîte ; mais ont-ils été soumis de même à l’impôt foncier pour les terres qu’ils pouvaient posséder en propre ? Sur ce point le doute est permis. Les documens ne marquent en effet d’une manière bien nette ni qu’ils l’aient payé, ni qu’ils en aient