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se sont joints ici des incidens imprévus : la politique a contrarié la science. Quand la France eut besoin du dévoûment de tout le monde, MM. Waddington et de Vogüé s’empressèrent de quitter leurs livres pour servir leur pays. Ils l’ont servi avec un éclat qui prouve que ces études « amies de l’ombre, » comme les appelaient les anciens, n’empêchent pas ceux qui les cultivent de paraître honorablement au grand jour. Ce qui est tout à fait méritoire, c’est que les hautes fonctions auxquelles ils ont été appelés ne les ont pas entièrement enlevés à leurs anciens travaux. Au milieu des diversions de la politique, les ouvrages commencés ont continué à paraître. Le recueil des inscriptions grecques et latines de l’Asie, que s’était réservé M. Waddington, est achevé. M. de Vogüé a terminé aussi la publication de ses inscriptions sémitiques, et il vient de nous donner, avec le concours d’un architecte de talent, M. Edmond Duthoit, deux volumes sur l’architecture civile et religieuse de la Syrie centrale. Je suis sûr que ceux qui les liront ne pourront se défendre d’éprouver une grande surprise. Ce ne sont pas des ruines ordinaires, comme on en trouve dans presque toutes les vieilles cités de l’Europe, que M. de Vogüé nous fait connaître ; il nous rapporte de cet Orient lointain des villes entières, avec leurs maisons, leurs rues, leurs tombeaux, leurs églises. Le miracle de Pompéi semble s’être renouvelé aux extrémités du monde C’est une civilisation détruite qui nous est rendue ; c’est toute une époque inconnue de l’art chrétien qui ressuscite devant nous. Je ne crois pas qu’on ait fait depuis longtemps une découverte plus intéressante et qui mérite davantage d’être mise sous les yeux des curieux.


I

La Syrie se divise en trois régions très distinctes : l’une est cette bande étroite de terre située le long de la mer et que bornent de l’autre côté l’Oronte, le Léontés et le Jourdain ; elle renferme ce qui reste des villes les plus célèbres du monde, Antioche, Tyr, Jérusalem, et reçoit tous les ans la visite de nombreux voyageurs qui n’ont presque rien laissé de nouveau à y découvrir. A l’extrémité opposée s’étendent de vastes plaines sans culture qui vont jusqu’à l’Euphrate et au golfe Persique. On n’a rien à y découvrir non plus, car elles n’ont jamais été habitées que par des tribus errantes : c’est ce qu’on appelle le grand désert de Syrie. Entre le désert et les fleuves se trouve une région intermédiaire, aujourd’hui presque dépeuplée, mais qui fut autrefois un pays riche, heureux, et qui a conservé de beaux débris de cette ancienne prospérité. M. de Vogüé la désigne sous le nom de Syrie centrale. « Cette