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plus anciennement dans l’histoire. Il est voisin de Ninive, de Babylone, de la Judée, de l’Égypte, c’est-à-dire des plus vieilles monarchies du » monde, qui s’en sont tour à tour disputé la possession. Il a vu passer les troupeaux d’Abraham, les cavaliers de Sésostris et de Nabuchodonosor : mais de ces époques lointaines rien n’est resté. Tous ces conquérans, qui bâtissaient ailleurs de si admirables édifices, n’ont rien élevé de solide dans la Syrie centrale. Les monumens qu’on y trouve sont d’une date beaucoup plus récente ; on le voit au caractère de leur architecture et aux inscriptions qu’ils portent. Les plus anciens ne remontent qu’aux premières années de l’ère chrétienne.

À ce moment, une partie de la Syrie appartenait à la dynastie d’Hérode, le roi de Jérusalem. On sait que cette famille avait entrepris de réconcilier les Juifs avec le reste du monde et de les faire entrer, malgré eux, dans le grand courant de la civilisation occidentale ; elle voulait paraître fort éprise de l’art grec et en répandre le goût autour d’elle. Le plus ancien texte épigraphique que M. Waddington ait découvert dans la Syrie centrale est un édit du roi Hérode-Agrippa qui régnait sur ces contrées. Il n’en reste par malheur qu’un fragment assez court, mais on y voit que le prince adressait à ses sujets une véritable harangue pour les exhorter à renoncer à leur vie sauvage. « Je ne puis comprendre, leur disait-il, que vous ayez jusqu’ici vécu dans des tanières comme des bêtes fauves[1], » et il les invitait sans doute à se bâtir des demeures plus convenables. Il est probable qu’il leur en donna l’exemple, et que ceux qui l’entouraient et qui voulaient lui plaire firent comme lui. MM. Waddington et de Vogüé ont eu la chance de retrouver un des édifices qui furent construits à cette époque et sous cette impulsion. C’est un temple que des gens du pays avaient élevé à Baalsamin, divinité syrienne. Ils ont remarqué qu’il ne ressemble pas tout à fait aux autres monumens de ce genre, et qu’on y sent un effort pour approprier les enseignemens de l’art grec aux exigences d’un culte étranger. Il est l’œuvre d’artistes orientaux, prodigues d’ornemens, enclins à exagérer, mais habiles et originaux, Comme il s’éloigne, par ses dispositions générales, des édifices religieux de la Grèce, M. de Vogüé pense que l’architecte a travaillé sur un autre modèle, et il est tenté de croire qu’il imitait le

  1. Ces tanières existent encore. On les retrouve comme Josèphe les a décrites, avec leur entrée étroite, où l’on ne peut passer que l’un après l’autre, mais qui s’élargit bientôt jusqu’à former de vastes salles, où des tribus peuvent se réfugier avec leurs familles et leurs troupeaux. Elles servaient alors d’asile aux brigands de la contrée, elles ont encore aujourd’hui la même destination. Depuis que les Arabes sont revenus aux habitudes de leurs pères, ils ont repris possession de ces cavernes qu’habitaient leurs aïeux et dont le roi Agrippa voulait les faire sortir.