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de crédit, ne fût-ce que pour couvrir les 500 millions que doit coûter le rachat des lignes secondaires. Est-ce impossible ? n’est-ce que difficile et hardi dans la situation de la France et du monde ? Vu de près, le plan de M. de Freycinet est sans contredit digne du plus sérieux examen ; il sera exposé, discuté devant le parlement, et, si on peut donner à M. le ministre des travaux publics des ressources égales à sa bonne volonté, il n’est point douteux que l’exécution de ces vastes entreprises, depuis longtemps désirées d’ailleurs, ne doive servir au développement de l’industrie et du commerce de notre pays. On a certes raison d’offrir aux esprits, à l’activité française, cet aliment des grandes et utiles entreprises, on a raison de s’occuper sans cesse de tout ce qui peut étendre, accroître les forces de la nation, et les forces matérielles et les forces morales ; mais vraiment est-ce qu’il s’agit de cela ? Est-ce qu’il n’y a pas à compter avec l’imprévu, avec cette crise de l’Orient qui, sans engager directement, la France elle-même, l’intéresse comme puissance européenne, qui trouve l’Autriche émue et indécise, l’Angleterre agitée et divisée, l’Italie encore attristée et frappée de la mort du roi Victor-Emmanuel ?

Depuis que l’Europe a les regards fixés sur l’Orient et sonde incessamment cet horizon troublé, jamais elle n’a éprouvé de plus vives impressions que dans ces derniers jours. Le moment est venu en effet où il faut bien que la situation se dévoile et que toutes les politiques se dessinent. Tant que la guerre allumée entre la Russie et la Turquie restait encore incertaine, on s’abandonnait aux événemens, belligérans ou neutres évitaient de s’expliquer. La Russie, tout entière à la lutte, pouvait se dispenser de dire son dernier mot. Les Turcs, de leur côté, gardaient l’espérance de relever leur fortune par les armes. Les puissances neutres, spectatrices du combat, vivaient, pour ainsi dire, sur la foi des garanties qu’elles croyaient avoir, des promesses qu’elles se flattaient d’avoir reçues. L’Autriche se disait qu’à la dernière extrémité, au moment de la paix, les « intérêts autrichiens » seraient respectés. L’Angleterre croyait avoir toujours le temps de sauvegarder les « intérêts anglais, » qu’elle avait pris le soin de préciser et de définir. L’Allemagne, quant à elle, se bornait à jouer son rôle d’alliée silencieuse et énigmatique, assurant la liberté de la Russie par l’immobilité de l’Europe.

On attendait, on a attendu pendant quelques mois, suivant du regard ces opérations compliquées mêlées de sanglans combats, interrogeant cette situation confuse, lorsque la face des choses a changé tout à coup, la réalité est apparue ! Les Russes, une fois maîtres de la Bulgarie, se sont précipités à travers les Balkans, achevant la déroute des Turcs à Chipka, prenant une partie de leur armée, refoulant ou dispersant le reste et arrivant rapidement aux portes d’Andrinople. Ils tenaient