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dispose la Russie, qu’elle transforme et agrandit, c’est l’Europe qui les a créées, protégées et garanties dans des conditions déterminées, acceptées par tous. Cette Bulgarie nouvelle qu’on ajoute aux autres principautés indépendantes, qu’on étend au-delà des Balkans et qu’on paraît vouloir placer sous le gouvernement d’un prince déjà choisi par le tsar, c’est la destruction de l’empire turc. Ces combinaisons territoriales du côté de la Roumanie ne sont probablement que la rétrocession à la Russie de cette partie de la Bessarabie qui la replacerait aux bouches du Danube, et cette question touche aux intérêts les plus directs de tout le centre du continent européen, de l’Allemagne aussi bien que de l’Autriche. En un mot, toutes ces stipulations habilement calculées sont la destruction d’un ordre de choses que l’Europe a créé et consacré, auquel la Russie a souscrit de nouveau et librement en 1871, qu’elle a reconnu comme constituant un droit des gens dont aucune puissance ne doit se délier. La Russie a vaincu la Turquie, et elle est libre de lui imposer des conditions ; elle n’a pas vaincu l’Europe de façon à lui infliger une défaite morale. Elle le peut, puisqu’elle est victorieuse et toute-puissante ; mais elle risque de n’accomplir qu’une œuvre de la force qui la met en contradiction avec l’intérêt européen.

Que vont faire maintenant l’Autriche et l’Angleterre, les deux puissances les plus directement engagées dans cette grande crise ? L’Autriche déploie visiblement toute sa diplomatie pour atténuer jusqu’à un certain point quelques-unes des conditions d’une paix qui serait désastreuse pour elle. Quant à l’Angleterre, elle est dans une situation d’autant plus pénible qu’elle a éprouvé de véritables déboires. Elle n’est intervenue en médiatrice officieuse à Pétersbourg que pour être quelque peu jouée par le prince Gortchakof. Au moment où les Russes ont paru marcher sur Gallipoli, elle a voulu faire entrer sa flotte dans les Dardanelles, puis elle s’est arrêtée aussitôt, sans avoir beaucoup plus de garanties. Elle arrête sa flotte et elle demande des subsides au parlement, elle veut et elle ne veut pas. Au fond, et c’est son malheur, elle est divisée. Les divisions ont pénétré jusque dans le cabinet et se sont manifestées par la retraite de lord Carnarvon, un instant même par la démission de lord Derby, de sorte que la discussion qui va s’ouvrir dans le parlement sur les subsides peut décider de la direction de la politique britannique et de l’existence du ministère. Pendant ce temps, la crise orientale marche au dénoûment !

Le monde est en vérité plein de contrastes. Pendant que des régions entières sont livrées aux tragédies de la guerre et que l’incertitude de la paix rend toutes les diplomaties moroses, pendant que la mort récente du plus populaire des souverains attriste une nation et met les cours en deuil, il y a un coin de l’Europe où l’idylle fleurit. L’Espagne