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mais n’est-il pas curieux de trouver dans les œuvres du bisaïeul de George Sand la première idée du service obligatoire ?

Aurore de Saxe vécut presque sans interruption auprès de sa mère jusqu’à l’âge de près de trente ans. Après la mort de celle-ci, elle épousa M. Dupin de Francueil, qui avait plus du double de son âge. C’était l’élégant Francueil des Mémoires de Mme d’Épinay, celui que Duclos dans sa mauvaise humeur jalouse appelait « le hanneton, » un peu assagi sans doute par les années, mais toujours charmant, toujours dépensier et toujours jeune. Neuf mois jour pour jour après son mariage, sa femme le rendit père d’un fils qui reçut le nom de Maurice et qui fut le père de George Sand. Avant d’en arriver à lui, il faut s’arrêter un instant à cette aïeule, à la mémoire de laquelle sa petite-fille n’a jamais cessé de porter une reconnaissante et affectueuse vénération. Mme Dupin de Francueil est en effet une des figures les plus gracieuses et les plus pures non pas de cette société de l’ancien régime qui avait gardé plus qu’on ne croit la tradition des idées étroites et des vertus sévères, mais de cette société des hommes de robe et de finance qui s’était formée dans les dernières années de Louis XV, société spirituelle et frivole où l’on entrait, dont on sortait facilement, et dans le sein de laquelle fermiers-généraux, conseillers au parlement, philosophes, écrivains, acteurs même, se coudoyant sur le pied d’une égalité apparente, faisaient aux idées nouvelles l’accueil d’un aveugle enthousiasme. Mme Dupin de Francueil, qui sut, assure sa petite-fille, traverser ce milieu assez corrompu « sans y laisser une plume de son aile, » n’en conserva pas moins jusqu’au jour de sa mort les goûts et les opinions philosophiques de ce milieu où elle avait passé sa jeunesse. Ce temps et cette société, dont elle avait autrefois frondé les abus, n’avaient cessé de lui apparaître comme le temps du plaisir et de la bonne compagnie par excellence : « Est-ce qu’on était jamais vieux dans ce temps-là ? disait-elle avec enjouement. On n’avait pas d’infirmités importunes. Si on avait la goutte, on marchait quand même et sans faire la grimage. On n’avait pas ces préoccupations d’affaires qui gâtent l’intérieur et rendent l’esprit épais. On savait se ruiner sans qu’il y parût, comme de beaux joueurs qui perdent sans montrer d’inquiétude et de dépit. On se serait fait porter à demi mort à une partie de chasse. On trouvait qu’il valait mieux mourir au bal ou à la comédie que dans son lit entre quatre cierges et de vilains hommes noirs. On jouissait de la vie, et, quand l’heure de la perdre était venue, on ne cherchait pas à dégoûter les autres de vivre. » Et elle ajoutait en riant : « C’est la révolution qui a amené la vieillesse dans le monde. »

Certes Dupin de Francueil ne connaissait pas ces préoccupations