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le gouverneur de Syrie lui avait écrite et que les habitans avaient fait graver en beaux caractères : « Julius Saturninus aux citoyens de Phœna, salut. Si quelque soldat ou quelque étranger de passage vous fait quelque violence, ne manquez pas de me l’écrire pour qu’il soit puni ; car vous ne devez aucune contribution à ceux qui passent par chez vous. Du moment que vous avez établi une hôtellerie publique[1] on ne peut pas vous forcer à recevoir personne dans vos maisons. C’est pourquoi vous afficherez cette lettre en quelque endroit de votre ville où il soit facile de la voir, afin qu’aucun inculpé ne puisse se défendre en arguant de son ignorance. » Ce qui présentait plus de difficultés encore que d’établir la paix intérieure dans la Syrie, c’était d’empêcher les nomades de la ravager. Elle était ouverte de tous les côtés aux incursions de ces ennemis audacieux et il ne semblait guère possible de prévenir leurs attaques ou de les punir. Ils arrivaient à l’improviste, ils repartaient sans qu’on pût les atteindre et allaient se cacher avec leur butin dans les profondeurs du désert où il n’était pas possible de les suivre. Mais les Romains ne souffraient pas qu’aucune des nations qui s’abritaient sous leur autorité fût insultée par ses voisins. Ils voulaient que tout le monde vécût en paix dans leur empire ; aussi s’empressèrent-ils de prendre des mesures efficaces pour arrêter les maraudeurs. Ils firent la police du désert comme on n’a plus su la faire après eux. Toute une ligne de postes fut établie sur la frontière et jusque dans le territoire des Arabes vagabonds. Les uns ne se composaient que d’une tour, et ne contenaient que quelques soldats qui ont écrit, pour se distraire, leur nom et celui de leur pays sur les murailles où on peut encore les lire après quinze siècles écoulés. D’autres étaient plus considérables et formaient de véritables camps retranchés où pouvaient tenir une cohorte d’auxiliaires, une aile de cavalerie, ou de soldats montés sur des dromadaires (dromedarii). M. de Vogüé a retrouvé un de ces camps à l’extrémité orientale du Haouran. Il était placé au milieu d’un pays sauvage, où le sol est tantôt couvert de pierres noires et arrondies, projetées par des éruptions volcaniques, tantôt traversé par des coulées de lave. Le cratère qui a produit tous ces bouleversemens s’élève au milieu de cette plaine désolée : c’est un tronc de cône qui peut avoir 60 mètres de hauteur et dont l’intérieur est creux, comme celui du Vésuve. Au pied de la montagne, une grande dépression qui s’est produite forme un lac que remplissent les pluies de l’hiver et que dessèchent vite les premières ardeurs de l’été. Le camp romain est une vaste enceinte carrée de

  1. Cette hôtellerie publique devait être ce qu’on appelle « une caserne des passagers. »