Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/753

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bonheur de celle qui devait s’appeler George Sand, il n’aurait pas mieux valu chercher un abri contre l’orage sous la robe de serge blanche et le manteau d’étamine noire des augustines, passer sa vie entre la cellule et l’autel, et s’étendre un jour, comme sa jeunesse en avait caressé le rêve, dans ce cimetière embaumé de jasmins et de roses où un léger tertre de gazon aurait seul marqué la place de sa tombe obscure et sans nom ?


III.

À peine Aurore fut-elle sortie du couvent qu’il y eut entre sa mère et sa grand’mère comme une reprise d’hostilités. À la prière que sa fille lui adressait de partir avec elle pour Nohant : « Non certes, répondit Mme Maurice Dupin ; je ne retournerai à Nohant que quand ma belle-mère sera morte. » Et comme la jeune fille paraissait froissée de cette réponse : « Comme tu voudras, lui dit sa mère irritée ; si tu l’aimes mieux que moi, tant mieux pour toi, puisque tu lui appartiens à présent corps et âme. » Cette triste scène commença de distendre les liens jusque-là si étroits qui avaient uni la mère et la fille, et pour la première fois Aurore découvrit dans les beaux yeux noirs de sa mère quelque chose de terrible qui la frappa d’une secrète épouvante. Elle n’en partit pas moins pour Nohant le cœur brisé, et, après avoir épuisé la première joie de dormir dans le grand lit à colonnes qui lui rappelait toutes les rêveries de son enfance et d’entendre au loin à son réveil la solennelle cantilène des laboureurs du Berry, elle tomba dans une tristesse où se mêlaient les regrets du couvent, les premiers troubles du jeune âge et ce qu’elle-même appelle quelque part « les souffrances d’une nature agitée par ses propres puissances. »

L’existence à laquelle bientôt elle allait se trouver condamnée n’avait rien qui pût la distraire de ces agitations. Au bout de peu de jours, elle ne tarda pas à s’apercevoir que l’esprit de sa grand’mère était singulièrement affaibli par l’âge, qu’elle enchaînait avec peine ses idées et que deux ou trois heures données à la conversation ou au jeu étaient tout le temps qu’elle pouvait consacrer à sa petite-fille. Le reste de la journée, Aurore n’avait d’autre société que celle de son ancien pédagogue, Deschartres, quand celui-ci n’était pas en course ou aux champs. Aussi, après avoir naïvement essayé de conserver dans l’occupation de sa journée la régularité du couvent et de dresser un tableau de l’emploi de ses heures, elle n’avait pas tardé à retomber dans les habitudes vagabondes de son enfance. Seulement, au lieu de rechercher comme autrefois la société des petits pastours, c’était l’éloignement et la solitude qu’elle préférait. Elle était devenue passionnée pour l’équitation, et, montée