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analogues, mais plus développées. Aujourd’hui nous voulons faire voir d’abord comment une idée nouvelle du droit est née dans l’esprit français, puis comment elle s’est développée chez nos philosophes. Ainsi nous aurons déterminé l’état actuel du problème avant d’entrer pour notre propre compte dans l’examen de ce problème lui-même.


I

Toute grande nation a son génie distinct de l’esprit des individus ; c’est ce qui fait son unité et lui donne sa force. Que ce génie s’oublie lui-même et s’affaisse, la nation semble prête à se dissoudre ; qu’il se retrouve et se ranime, la nation tout à l’heure abattue se redresse et marche. Cette âme commune à chaque nation est, comme on sait, l’objet d’une science nouvelle que les Allemands appellent la psychologie des peuples. Tandis que des contrées voisines, mettant cette science en pratique, se complaisent à réduire en formules leur esprit national, pour l’ériger ensuite en une sorte de loi et de droit supérieur à tout, il convient aux Français de se souvenir aussi d’eux-mêmes, non pour s’élever ni se rabaisser systématiquement comme ils le font parfois, mais pour reprendre, avec la conscience de leur vrai caractère, la pleine possession de l’idée qui a fait et peut faire encore leur vitalité dans l’histoire. Une telle étude, outre qu’elle est nécessaire pour faire comprendre le développement de notre philosophie du droit, n’est pas sans résultats pratiques. Que doit être en effet la législation d’un peuple, que doit être sa constitution politique pour avoir chance de vie, sinon l’exacte expression du génie national ?

Rappelons d’abord en quelques mots les causes bien connues qui ont contribué à former notre caractère : le climat, le tempérament, surtout la race et la tradition historique. La situation géographique de la France, moyenne entre le nord et le midi, entre tous les types de climat et de végétation, dont elle réunit les productions principales depuis le sapin jusqu’à l’oranger, paraît propre au développement d’un esprit moins étroitement national, moins exclusif, accessible à des influences plus variées et plus générales. Ajoutez-y un genre de tempérament également intermédiaire entre les extrêmes, plutôt nerveux et sanguin que lymphatique et bilieux, où le sérieux du nord est compensé par la vivacité et la passion des pays aimés du soleil, où l’équilibre humain mieux réalisé montre plus d’harmonie-, tempérament équitable, pourrait-on dire, qui tend à maintenir l’égalité entre les différentes facultés humaines et à faire à chacune.sa part selon une sorte de justice naturelle ; caractère à la fois ardent et mesuré qui permet difficilement à la passion, au caprice et à