Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/795

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De son côté l’école spiritualiste, avec Maine de Biran, Royer-Collard, Victor Cousin, Jouffroy, n’avait cessé de développer sous diverses formes la doctrine rationnelle qui place le fondement du droit et de la dignité dans la volonté libre. Cette volonté, pour Maine de Biran, éclate dans l’effort par lequel nous imprimons le mouvement à nos organes, dans le travail ; d’où Biran, s’il s’était occupé des questions sociales, aurait pu déduire que le travail, qui est la force personnelle en action, est le principe de la propriété personnelle ou plus généralement de tous les droits. Pour Royer-Collard et Victor Cousin, la volonté réside dans le pouvoir de choisir entre, le bien et le mal, dans le libre arbitre ; du libre arbitre procèdent à la fois le devoir et le droit, avec la responsabilité de chacun dans l’accomplissement de sa propre destinée. « Qu’est-ce que mon droit à votre respect sinon le devoir que vous avez de me respecter parce que je suis un être libre ? Mais vous-même vous êtes un être libre, et le fondement de mon droit et de votre devoir devient pour vous le fondement d’un droit égal et en moi d’un égal devoir. Je dis égal de l’égalité la plus rigoureuse, car la liberté et la liberté seule est égale à elle-même. « Il n’est pas possible de concevoir de différence entre le libre arbitre d’un homme et le libre arbitre d’un autre[1]. » Telle est la théorie qu’on retrouve, avec des nuances multiples, et chez les successeurs immédiats de Victor Cousin, et chez la plupart des spiritualistes contemporains. : La doctrine récente des nouveaux kantiens n’en diffère pas notablement, et le criticisme de M. Renouvier fonde également le droit sur la liberté, qui, à ses yeux, consiste essentiellement dans le libre arbitre. « Les relations de débit et de crédit des agens réciproques, c’est-à-dire le droit et le devoir comme termes corrélatifs,… se résument théoriquement de chaque côtés par la. dignité, c’est-à-dire la liberté, la personnalité même, et par le respect de cette dignité[2]. »

On le voit par cette simple esquisse des principales, théories de notre siècle, c’est une doctrine devenue aujourd’hui classique en France que de faire reposer le droit sur la liberté morale, et toutes les écoles contemporaines de notre pays, sauf les positivistes, reviennent après plus ou moins de détours à cette théorie en quelque sorte nationale. Il faut croire pourtant que la conception française du droit renferme en elle-même quelque chose d’incomplet et d’obscur, puisqu’elle est si loin encore d’avoir rallié les esprits soit dans l’Allemagne et l’Angleterre, soit dans la France même, où elle fait

  1. Justice et charité.
  2. Science de la morale, II, 480.