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l’expression fidèle d’une métaphysique en quelque sorte constitutionnelle elle-même, démocratique par le principe de l’inviolabilité de la liberté, aristocratique par la subordination de la liberté à une loi supérieure.

Si la valeur de la liberté et sa relation avec sa fin demeurèrent ainsi dans le vague pour l’école spiritualiste, c’est que le même vague subsistait sur la nature intime de la liberté. Par la liberté morale, la plupart des spiritualistes français n’ont entendu autre chose que le libre arbitre, et ce libre arbitre, on ne l’a jamais sérieusement distingué de la liberté d’indifférence ; car il se ramène à la puissance de vouloir dans un seul et même instant, toutes circonstances égales d’ailleurs, une chose ou son contraire, le plus grand bien ou le moindre, le bien ou le mal. En admettant l’existence de ce pouvoir si contesté, avait-on du moins trouvé pour le droit un fondement solide ? Nullement. Cette faculté attribuée à l’homme de vouloir une chose quand il pourrait vouloir l’opposé n’est qu’une force à double effet, comme la force de la vapeur qui peut faire aller une locomotive aussi bien en arrière qu’en avant ; mais la locomotive est-elle plus sacrée et plus inviolable parce qu’on y peut renverser la vapeur et appliquer la force motrice à deux fins ? Ne semble-t-il pas au contraire que cette possibilité même de deux directions, dont l’une peut être fort dangereuse, autorise et nécessite une surveillance assidue de la machine ? Il ne servirait à rien de répondre que, si la machine est sans droit, c’est que le mouvement en avant ou en arrière vient en réalité du mécanicien. Supposez que la volonté du mécanicien puisse aussi se renverser avec la même facilité que la vapeur et ait la faculté de vouloir les contraires ; supposez, ce qui revient au même, que la locomotive puisse elle-même changer sa direction, on ne voit pas comment déduire de là son inviolabilité. Il y a plus, une telle machine serait si dangereuse pour la société humaine qu’on s’empresserait de la soumettre par tous les moyens à une règle fixe. Non moins périlleuse serait une volonté capable de tout vouloir et de se déterminer d’une manière imprévue entre tous les contraires : auprès d’elle, personne ne serait en sûreté. Ne prononce-t-on pas l’interdiction et la séquestration contre les fous, dont les décisions sont ainsi arbitraires et impossibles à prévoir ? Ne rétablit-on pas le centre de gravité dans la balance folle qui tombe à droite et à gauche ? Ce que beaucoup de philosophes se sont figuré comme la liberté de la volonté semble au contraire la folie de la volonté. En présence de cette liberté prétendue, de cette liberté fantasque, nous nous empresserions d’abord de nous garer, puis de la détourner de notre chemin comme on détourne un chariot emporté par un cheval