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Telles sont les principales difficultés auxquelles cette doctrine est exposée et que nous avons dû nous borner à indiquer. Elles se résument dans le dilemme suivant : Si le libre arbitre constitue par lui-même le droit, abstraction faite du bien, comme le libre arbitre est indéterminé de sa nature et susceptible de tous les contraires, l’homme se trouve avoir le droit en tout et le droit à tout, quoi qu’il fasse, et il n’y a pas de raison pour limiter son libre arbitre par le respect d’autrui : je suis absolument libre de réaliser les contraires, vous êtes-absolument libre de réaliser les contraires, pourquoi imposerais-je une limite à mon action dans l’intérêt de la vôtre ? Absolus tous les deux et égaux dans notre pouvoir intime, limités et inégaux dans notre force extérieure, nous en viendrons à la lutte comme deux rois absolus qui se trouvent rivaux, et en fait c’est le droit du plus fort qui triomphera. Si au contraire le libre arbitre n’est pas respectable dans son indétermination, mais dans la détermination qu’il se donne, il n’est plus respectable que par un certain bien qui est sa fin en même temps que la fin des autres hommes. C’est alors cette fin seule qui est absolument sacrée et respectable, seule elle est le droit ; le libre arbitre de l’homme ne pourra plus être respecté pour lui-même, mais seulement dans la mesure où il concourra à la réalisation du bien ; comment donc soutenir encore que l’homme a des droits en tant qu’homme et en tant qu’être libre ? On ne peut plus dire qu’il ait par lui-même aucun droit ; le libre arbitre n’étant qu’un moyen qui souvent se retourne contre sa fin, il est possible et légitime de le l’amener à cette fin par toutes les voies possibles, comme l’enseignent les écoles catholiques-et autoritaires : la fin justifiera les moyens. On pourra et on devra contraindre an besoin la liberté pour son propre bien et pour le bien des autres, sans qu’elle puisse revendiquer cette prérogative d’un respect absolu qu’on appelle le droit.

En un mot, ou le libre arbitre est indétermination pure, et à ce titre absolument respectable, mais alors toute action est bonne et juste, et il n’y a plus de moralité ni de droit-, ou le libre arbitre a une loi supérieure à lui qui doit déterminer sa direction ; mais alors il peut choisir le mal, et il n’est pas absolument respectable.

Ainsi l’idée qu’on se fait généralement de la liberté dans l’école spiritualiste semble plutôt propre à supprimer le droit qu’à l’établir. D’autre part le fatalisme absolu des positivistes paraît encore plus inconciliable avec l’idée du droit, et les difficultés ne sont pas moindres de ce côté que de l’autre, nous avons vu combien Auguste Comte s’est montré logique en rejetant tout ensemble l’idée de droit et l’idée de cause. Si en effet un être est fatalement déterminé par des forces qui lui sont étrangères, sans activité et sans