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l’ordinaire boueuses, tantôt jaunies, tantôt verdâtres, tristes comme le ciel qu’elles reflètent, et qui est volontiers brumeux. Le vent souffle souvent par rafales, d’énormes vagues roulent au rivage les galets avec un grondement sinistre et projettent leur écume blanche dans l’air. Quand le voyageur est venu d’une seule traite de Marseille au Havre, de la Méditerranée à l’Océan, il se prend, devant ces eaux, devant ce ciel, si différens de ceux qu’il vient de quitter, à regretter le ciel bleu, la mer bleue et les montagnes qui la bordent, et qui revêtent des tons si vifs sous une atmosphère transparente et sous le soleil brûlant du Midi.

Laissons la Manche et ses rivages, et l’estuaire de la Seine, pour gravir la côte ardue qui enserre Le Havre au nord et le ferme comme un rempart. Nous visitons de jolies villas, des jardins odorans, qui sont comme des nids de verdure et de fleurs ; c’est le home du négociant havrais, lequel, comme son confrère d’Angleterre, a la bonne habitude d’isoler le plus loin possible sa maison de ses bureaux. De ce belvédère élevé, nous avons une vue très pittoresque de la ville, de ses bassins. La nuit, mille lumières surgissent et paillettent de traits de feu l’ombre noire. Des lignes scintillantes marquent la bordure des quais. Le jour, le panorama est ravissant, et l’on a peine à s’en détacher. Ce n’est pas qu’il n’y ait de vue plus magique, et que Casimir Delavigne ait eu raison ici de s’écrier : « Après Constantinople, il n’est rien d’aussi beau. » Il faut pardonner au poète cet élan de lyrisme exagéré ; il était né au Havre, et n’avait pas vu sans doute la baie de Naples et la mer de Sorrente, et encore moins la rade de New-York ou de Rio-Janeiro, ces deux merveilles du Nouveau-Monde.

L’entrée et la sortie du port du Havre sont assez difficiles aux grands navires, à cause de la disposition même des deux jetées nord et sud dont il a été parlé, et de l’étroitesse et de la courbure de l’avant-port. Tout cela gêne les manœuvres des grands paquebots et les rend parfois impossibles, tout au moins dangereuses ; il faut sortir en étant remorqué. On a déjà pris des mesures pour remédier à ces inconvéniens. On a pris aussi toutes les précautions nécessaires pour obvier au comblement du port par les galets, les sables et les boues. Des chasses par des courans d’eau, des draguages répétés au moyen de machines perfectionnées, y parent suffisamment, nous le savons, et l’obstruction de la passe et des bassins n’est pas à craindre, comme quelques-uns se l’imaginent à tort. Il ne faudra pas transporter ailleurs le port du Havre. Les esprits timorés peuvent se rassurer, l’avenir est garanti. Il y a mieux, nul port au monde ne présente l’avantage de celui du Havre au point de vue de la marée. Pendant une couple d’heures, la haute