Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 25.djvu/901

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et mieux il est pourvu de tout ce qui est nécessaire, utile et agréable, en un mot, plus il a de bien-être. Pour faire un canot avec une hache de pierre, il lui faudra un an, avec des outils de fer ou d’acier un mois, avec des machines une semaine. Le progrès est énorme ; mais il est dû à l’amélioration des procédés de fabrication, à l’application de la science à l’industrie, ou, comme on dit, à l’emploi intelligent du capital. Décrire ce progrès n’est pas encore de l’économie politique ; celle-ci n’apparaît que quand il s’agit du partage et du bon emploi de la richesse acquise, et encore, tant qu’il s’agit d’un homme seul ou d’une famille isolée, ce n’est que de l’économie domestique.

Il n’y a lieu à économie politique qu’au sein d’un groupe de familles, dans une commune, dans un état. En effet, ce nom vient de trois mots grecs : οίχος, maison, νόμος, loi, πόλις, cité, état, et il signifie par conséquent la loi, la bonne administration de la maison commune, c’est-à-dire de l’état. Il ne s’agit pas seulement des finances publiques, mais du bien-être des citoyens. Ce qu’il faut chercher, c’est comment les hommes réunis en société doivent s’arranger, quelles institutions, quelles lois ils doivent adopter pour que chacun puisse se procurer, par son travail et en proportion de ses efforts, le plus de choses utiles à la satisfaction de ses besoins rationnels. Les lois les plus favorables à l’accroissement du bien-être seront celles qui contribueront le plus à rendre le travail productif. Le travail sera d’autant plus productif qu’il sera exécuté avec plus d’intelligence et de science, avec plus de soin et d’ardeur. Pour qu’il y ait intelligence et science, il faut répandre l’instruction ; pour qu’il y ait soin et ardeur, il faut organiser la responsabilité, c’est-à-dire faire en sorte que chacun jouisse de tous les fruits et rien que des fruits de son labeur. C’est là proprement l’œuvre de la justice, qui consiste à traiter chacun suivant son mérite en assurant à chacun le sien, cuique suum tribuere, comme dit si bien Cicéron. L’organisation de la responsabilité et la mise en pratique de la justice, voilà donc la chose essentielle en économie politique. On aperçoit déjà ici quels liens intimes la rattachent au droit et à la politique ; bientôt on le verra mieux encore.

La plupart des économistes orthodoxes ont voulu exclure complètement de leurs spéculations l’intervention de l’état ; ils ne s’en occupaient que pour la proscrire. Ce qu’ils voulaient donc, c’était faire de l’économie politique qui ne fût pas politique ; car elle ne devient « politique » que quand elle a pour objet l’action de la πόλις, de l’état, je veux dire les lois. Sans doute en démêlant avec soin les rapports de cause à effet qui rattachent les uns aux autres les faits économiques, en analysant la division du travail, les fluctuations des prix, la loi de l’offre et de la demande, les variations