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et lui un lien moral, prévient cette hostilité des classes qui est le péril de l’avenir.

La fameuse question de la population qui, en économie politique, domine toutes les autres, se résout principalement par des considérations de l’ordre moral. Que faut-il pour que le nombre des habitans ne dépasse pas la production des denrées alimentaires ? Il faut de la prévoyance, de la prudence, de la continence, toutes vertus qui supposent de la force morale. La création du capital est souvent un acte de vertu, surtout de la part des petites gens. Il faut renoncer à une jouissance immédiate en vue d’un bien à venir : c’est encore de la force morale. Quant à la consommation, qui, comme nous l’avons dit, commande à la production, elle est déterminée tout entière par la direction plus ou moins morale donnée à la vie. C’est le relâchement des mœurs qui conduit le peuple à dépenser en boissons fortes ce qui suffirait pour l’affranchir de la misère, et les riches à donner l’exemple de la prodigalité et du désordre.

Les anciens et même Montesquieu ont cru que l’accroissement de la richesse mène les nations à l’amollissement et à la décadence. C’est ainsi qu’ils expliquent la chute des empires. Si en effet un peuple sort de la simplicité primitive et s’enrichit rapidement sans qu’en même temps il acquière la force morale nécessaire pour en faire un bon usage, son opulence deviendra une source d’immoralité et la cause de sa perte. C’est le spectacle que nous offrent en ce moment les États-Unis. Ce qui a toujours perdu les démocraties, c’est l’excès de l’inégalité plus encore que celui des richesses. Pour développer ces considérations, il faudrait un livre. Heureusement on peut renvoyer le lecteur à quelques ouvrages excellens de MM. Baudrillart, Dameth et Minghetti[1].

  1. Le Juste et futile, par M. Dameth. — Des Rapports de la morale et de l’économie politique, par M. Baudrillart. — Des Rapports de l’économie publique avec la morale et le droit, par M. Minghetti, remarquable travail malheureusement fort mal traduit. Malgré les objections et les railleries de leurs adversaires, les économistes allemands de la nouvelle école, Hermann Rössler, Nasse, Schmoller, Brentano, Adolph Held, Neumann, Schönberg, von Scheel, Dühring, Lange, Stein, Adolph Wagner, Schäffle, maintiennent que l’économie politique est essentiellement une science morale, eine ethische Wissenschaft. Ce qu’ils ont voulu surtout démontrer, c’est que l’égoïsme n’était pas, comme le soutenait l’ancienne école anglaise, le seul moteur du monde économique, que c’était l’homme avec tous ses instincts et tous ses sentimens, sentimens d’honneur, de charité, de devoir, de justice. Ils on tirent cette conclusion que le libre développement de l’intérêt individuel ne suffit pas pour conduire la société au plus haut point de prospérité ; qu’il faut considérer la nation comme un tout organique et l’état comme un élément nécessaire, et aussi tenir compte de tous les liens, liens juridiques et liens d’affection, qui relient les hommes les uns aux autres. Voyez Ueber einige nouere Versuche zur Revision der Grundbegriffe der Nationalökonomie, von Prof. A. Held, in Bonn. Les anciens économistes italiens et aujourd’hui les écrivains distingués qui ont pour organe le Giornale degli Economisti appartiennent à la même école.