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On a limité la durée du droit parce qu’on a cru qu’un certain nombre d’années de monopole suffisait pour stimuler le génie, et qu’après il valait mieux que tous pussent profiter de l’idée, sans payer tribut aux héritiers de celui qui l’avait conçue. On a tâché ainsi de mettre d’accord l’intérêt particulier et l’intérêt général. C’est l’expérience seule, c’est-à-dire l’examen des résultats obtenus, qui permet de décider si l’on a réussi. Il en est de même pour toute autre espèce de propriété. Ce n’est point par des déductions philosophiques, mais par l’étude des faits, l’histoire et la statistique à la main, qu’on peut déterminer quelles restrictions on doit imposer à la propriété privée, eu égard aux objets auxquels elle s’applique.

Entrons plus avant dans les détails : pourquoi a-t-on établi les servitudes ? C’est pour des raisons économiques. Il est utile que je puisse écouler mes eaux, ou me servir du mur mitoyen pour y appuyer mes poutres. Cela ne vous convient pas ; mais c’est d’intérêt général ; la loi m’y autorise. Mon terrain est enclavé dans le vôtre ; il est utile que je puisse le cultiver, vous serez contraint de me livrer passage. Dans la prescription, on voit clairement le droit céder devant l’intérêt économique. De sa nature, un droit est perpétuel ; il ne devrait donc point s’éteindre par un laps de temps. Cependant le droit romain et à sa suite le droit moderne établissent que celui qui occupe un bien pendant dix ou vingt ans avec bonne foi et juste titre en acquiert la propriété, malgré la volonté et peut-être sans la faute du véritable propriétaire. Pourquoi cette dérogation à la rigueur des principes juridiques ? Écoutez les juristes : ils invoquent des raisons de l’ordre économique. Celui qui fait valoir un bien, qui le conserve, qui l’améliore, y incorpore pour ainsi dire une partie de lui-même ; c’est comme une dépendance et une extension de sa personne. Cet argument renferme toute la théorie des économistes. Ensuite la propriété ne peut rester trop longtemps en suspens sans que l’intérêt général en souffre. Troplong, dans son traité si connu sur la prescription, développe ces considérations comme aurait pu le faire Smith ou J.-B. Say. C’est l’économie politique qui prononce en dernier ressort.

Après la propriété, c’est le système d’hérédité qui détermine la répartition des biens. Le libre contrat, dont les économistes font tout dépendre, n’entre en jeu que quand les lois de succession ont fait la part de chacun. Quelle est la base de ces lois ? Ce n’est pas le droit naturel, disent les juristes. Les héritiers, même les enfans, n’ont aucun droit absolu sur l’héritage, puisqu’ils peuvent en être exclus. D’autre part, la volonté présumée ou même exprimée du défunt ne fait pas loi, puisque beaucoup de codes lui imposent des restrictions. C’est l’intérêt économique qui a servi de base aux divers systèmes d’hérédité. A Rome, c’est la volonté de l’homme