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tombons en plein dans ces inventions de faux spectres et de séquestrations clandestines qui ont jadis défrayé les romans d’Anne Radcliffe, et qui paraissent passablement enfantines aux lecteurs habitués aux allures réalistes du roman moderne. Néanmoins, et en dépit de ces procédés surannés, l’auteur possède le don de faire croire à la possibilité des événemens qu’il raconte. En poursuivant la lecture de cette dernière partie de Marmorne, on reçoit plus d’une fois cette vague impression de terreur que produit le fantastique quand il est adroitement amené. Telle page du roman vous émeut comme une histoire de revenant contée à la veillée ; ainsi ce passage où Adolphe raconte comment il aperçut pendant une nuit d’hiver le prétendu fantôme de Boisvipère : — « Dans cet isolement, mes pensées se tournèrent vers le souvenir de Julius avec une vivacité douloureuse que je n’avais jamais éprouvée à un pareil degré. Son retour, si ce retour était encore possible, m’eût délivré de cette inquiétude croissante et aussi de cette intolérable sensation de solitude qui m’angoissait. Il était alors onze heures et demie. Mes réflexions avaient chassé le sommeil, et une certaine fascination tenait mes yeux fixés sur les sombres massifs forestiers qui se détachaient en noir entre la bande blanche du sol neigeux et la zone lumineuse du ciel étoile. Alors l’idée me vint de veiller jusqu’à ce que j’eusse aperçu la singulière apparition qui avait effrayé les hôtes de Boisvipère… Peu à peu les influences du lieu et de l’heure agirent sur moi et me jetèrent dans un état d’âme tout nouveau. Ma raison se refusait encore obstinément à croire au surnaturel ; néanmoins une sensation inconnue et troublante de je ne sais quoi de mystérieux me secouait de la tête aux pieds, courant le long de mes nerfs comme un fluide magnétique, subtil, indéfinissable et pourtant aussi sensible que cette influence électrique produite par l’atmosphère sur notre organisme, quand nous disons que l’orage est dans l’air. Ce n’était pas de la crainte, mais plutôt l’étrange désir d’entrevoir quelque chose du monde spirituel. — Si Julius est réellement mort, me disais-je, je voudrais qu’une communication fût possible entre nous. — J’avais à peine formulé ce souhait mental, que quelque chose d’animé devint visible à la lisière du bois, derrière le tronc d’un chêne. Cela glissa l’espace de quelques pas, puis disparut. Je guettais, et cela reparut encore vers la gauche. Ensuite un rayon de lune tomba sur cette chose mystérieuse, et je reconnus une haute et blanche forme enveloppée d’une sorte de linceul… »

Comme on l’a deviné, Emile, qui joue un peu trop dans toute cette histoire le rôle d’un traître de l’Ambigu, a séquestré Julius, lors de son arrivée à Boisvipère, la veille de Sainte-Elisabeth, en le faisant passer pour un espion prussien. Tout se découvre cependant. Au moment où Emile va épouser Ada, victime de sa supercherie, Julius sort