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force, peut-être aussi sa faiblesse. Nul moins que Pie IX ne ressemblait à ces papes mondains des temps passés qui mettaient tant de calculs dans leur politique ; il était de la race des vrais pontifes : simple, sincère et intrépide, avec une candeur absolue de foi qu’il poussait jusqu’au mysticisme, qu’il savait en même temps parer d’esprit et de grâce. Quand on l’approchait, on ne pouvait qu’être frappé de ce mélange de piété attendrie, d’ingénieuse bonne humeur et de pénétrante finesse qui donnait à sa physionomie une originalité si expressive. Il avait la gaîté d’une conscience tranquille, et c’est avec une sorte d’ingénuité de cœur, bien plus que par des préméditations ambitieuses, qu’il a accompli les actes les plus éclatans, les plus audacieux, les plus hasardés de son règne.

Inflexible pour l’honneur et l’intégrité du pontificat, il savait bien à quoi s’en tenir, il ne se faisait pas illusion : témoin le jour où on lui rappelait que, suivant une promesse divine, la barque de Pierre ne pouvait périr, et où il répondait spirituellement que la promesse divine avait parlé de la barque, qu’elle n’avait pas parlé de l’équipage. Il avait de ces mots d’une douce et fine ironie par lesquels il déconcertait les plus graves personnages, et, à mesure que les événemens se déroulaient autour de lui, il continuait la lutte parce qu’il y voyait un devoir ; il ne croyait plus guère au succès, il s’attendait à tout. Assurément l’entrée définitive des Italiens à Rome en 1870 l’avait blessé ; il avait protesté, sans prolonger une résistance inutile, et il avait trouvé une forme de protestation perpétuelle en s’enfermant comme un captif au Vatican ; c’était sa manière de ne pas reconnaître le fait accompli. Il y était cependant préparé, il n’avait pas attendu au dernier moment pour se demander ce qu’il ferait le jour où le dénoûment éclaterait. Sa vraie pensée, en dépit de tous les conseils, avait été de rester à Rome ; il s’était toujours dit que la place du pape, sauf des violences qu’il n’avait point à craindre, était auprès de la « confession de saint Pierre. » Au fond, devant ce mouvement national qui le pressait, qu’il se croyait obligé de combattre, il se retrouvait Italien ; il sentait remuer en lui une fibre mystérieuse, et, tout en protestant, il s’intéressait à ce qui se passait en Italie. Il s’informait avec une vive curiosité de l’état de l’armée nouvelle, et il n’aurait craint nullement de se mettre sous sa garde. Dans une circonstance où le corps d’occupation français devait partir, avant 1870, il y avait eu une négociation pour mettre une garnison italienne à Rome. Pie IX ne pouvait surtout se défendre d’une vieille affection pour Victor-Emmanuel comme pour la famille royale, pour sa filleule, la jeune et gracieuse reine de Portugal ; il aimait ces princes, qui avaient pourtant fait l’Italie, qui étaient ses voisins au Quirinal, et, on vient de le voir, le jour où une catastrophe imprévue a frappé le roi, le vieux pape a senti s’émousser dans ses mains toutes les foudres