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terminée ; on avait aperçu quelques futailles, des piles de bouteilles, mais on n’avait découvert ni un fusil, ni une cartouche.

Le colonel était remonté dans la cour, il marchait lentement vers la porte de sortie et semblait hésitant. Tout à coup il se retourna vers M. Gablin et lui dit : — J’ai à vous parler, allons dans votre cabinet ! — M. Gablin conduisit le colonel dans la petite pièce du rez-de-chaussée qui lui sert de bureau, ferma la porte et attendit. Le colonel lui dit alors avec bonhomie : — Voyons, vous avez l’air d’un bon garçon ; ne me faites pas poser plus longtemps, dites-moi où il est. — M. Gablin eut l’expression naturellement étonnée d’un homme qui ne comprend rien à la question qu’on lui adresse. — Vous sentez bien, reprit le colonel, que nous finirons par le trouver ; dites-moi donc tout de suite où il est, ça vous évitera bien des tracasseries. — Qui ? le ministre ? demanda M. Gablin. — Mais non, reprit le colonel avec impatience, le souterrain ! — Quel souterrain ? — Mais le souterrain qui va du ministère aux Tuileries. — M. Gablin se mit à rire, et répondit : — On s’est moqué de vous, il n’y a jamais eu de souterrain. — Le colonel se fâcha, parla de ses informations précises, de plans secrets que l’on possédait à l’Hôtel-de-Ville et de la volonté fermement exprimée par la commune de s’emparer de tous ces passages mystérieux qui aboutissaient du palais des tyrans aux différens points de Paris. M. Gablin levait les épaules avec découragement et ne savait que répliquer, car il voyait qu’il se trouvait en présence d’un homme profondément convaincu ; le colonel insistait, il usa de quelque diplomatie pour convaincre son interlocuteur, il lui dit : « Vous ne croyez pas à notre droit, vous avez tort ; la France est avec nous, à cette heure nous sommes au Mont-Valérien. Versailles est entre nos mains, l’assemblée des ruraux est en fuite, » et à l’appui de ces assertions, qui, malgré leur invraisemblance, ne laissaient pas de troubler le chef du matériel du ministère de la marine, il lui montrait deux dépêches dont la contradiction était frappante. Dans la première, on lisait : « Victoire ! Le général Duval et le général Eudes sont à Meudon et à Châtillon. La ligne, placée entre la gendarmerie et l’artillerie par les généraux de la honte, lève la crosse et fraternise avec le peuple. Le Mont-Valérien est à nous ; Flourens marche sur Versailles. » La seconde était ainsi conçue : « L’assemblée s’est enfuie de Versailles à l’approche de l’armée victorieuse de la commune, pour se réfugier, selon les uns, à Rennes, selon les autres, dans la forteresse du Mont-Valérien ![1]. » M. Gablin répondit : « Toutes ces victoires-là ne vous feront pas découvrir un souterrain qui n’a jamais existé. » Le colonel se retira furieux,

  1. Ces deux dépêches, en effet, furent placardées à Paris dans la soirée du 3 avril ; à l’heure où on les affichait, Duval et Flourens étaient morts.