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La Porte n’avait pas été sans remarquer qu’au fond l’Allemagne était indifférente à la solution que recevrait la question d’Orient : elle avait voulu susciter des embarras à la Russie, et l’agitation panslaviste qui avait éclaté à Moscou et qui de là s’étendait dans toutes les provinces russes répondait à son attente : son but était atteint. Telle était du moins l’impression qu’avait apportée le grand-vizir Edhem-Pacha, qui n’avait quitté l’ambassade de Berlin que pour venir prendre part aux travaux de la conférence. Il avait été facile de constater qu’il n’y avait point un accord réel et sincère entre l’Autriche et la Russie, dont les intérêts sont trop différens pour pouvoir se concilier aisément et admettre une action commune. L’adhésion du cabinet de Vienne à toutes les démarches diplomatiques proposées par la Russie ne paraissait aux Turcs qu’une condescendance dictée par la timidité et qui prendrait fin par la résistance des ministres de Pesth le jour où les intérêts de la monarchie hongroise paraîtraient sérieusement en péril. La Porte n’avait aucun mauvais vouloir à appréhender de la part de la France, qui se tenait sur une grande réserve et dont le langage était dicté par les intentions les plus conciliantes. Elle ne désespérait donc pas de réussir à diviser les puissances, et, à supposer qu’elle n’y réussît point, elle comptait que, si l’on voulait peser trop fortement sur elle et lui faire des conditions trop dures, on verrait se reproduire le dissentiment qui avait fait abandonner le mémorandum de Berlin, et que l’Angleterre se trouverait entraînée par la force des choses à se replacer sur le terrain du traité de Paris.

Ce fut cette confiance imprudente qui détermina la Porte à se refuser à ce qu’on exigeait d’elle. Elle ne repoussait pas les réformes en elles-mêmes, mais elle voulait qu’elles conservassent le caractère d’actes spontanés et ne parussent point imposées à un souverain à qui l’indépendance.de son gouvernement avait été garantie. Elle prétendait de plus que toutes les réformes que l’on suggérait étaient contenues dans la constitution qu’elle venait de promulguer, et elle demandait qu’on laissât faire, au moins pendant une année, l’épreuve de cette constitution, admettant que, si les résultats n’en étaient pas satisfaisans, l’Europe aurait le droit de revenir à la charge et d’aviser.

Le refus de la Porte était le prétexte que la Russie attendait pour faire entrer en campagne les troupes qu’elle massait, depuis plusieurs mois, sur la frontière ; aucun prétexte ne pouvait être plus frivole, puisque la Porte ne contestait pas la nécessité des réformes qu’on lui demandait et ne se refusait pas à les accomplir ; elle demandait seulement à les accomplir elle-même et de sa propre initiative, et dans cette œuvre même elle acceptait le contrôle de l’Europe. Il n’y avait donc plus aucun doute possible sur les motifs