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et indépendans, il est impossible, aux termes mêmes du traité de Paris, de leur refuser voix délibérative dans la commission chargée de régler la navigation du Danube. Si la Russie obtient la rétrocession de la Bessarabie, qu’elle poursuit pour effacer jusqu’à la dernière trace de la guerre de Crimée, elle entrera également de plein droit dans la commission, et l’Autriche, qui y était maîtresse depuis vingt ans, s’y trouvera en minorité. La neutralisation du grand fleuve allemand sera sans doute proclamée, moins pour assurer une sécurité plus grande au commerce que pour priver l’Autriche du droit d’employer des bâtimens armés à la police du Danube, et lui retirer un moyen d’action sur les petits états dont l’indépendance va être proclamée, et qu’elle aurait pu frapper d’une sorte de blocus.

Si nous passons aux questions qui intéressent plus particulièrement l’Angleterre, il nous est impossible de ne pas nous reporter à un travail publié il y a trois mois dans une revue semi-officieuse de Saint-Pétersbourg, sous la signature du prince Wladimirofsky, et intitulé : des Conditions de la paix. L’auteur de ce travail, considérant la chute de Plevna comme imminente, croyait le moment venu d’étudier à quelles conditions la paix pourrait être conclue entre les belligérans. Au premier rang, il faisait figurer une indemnité de guerre sans dissimuler que la situation financière de la Turquie devait la mettre de longtemps dans l’impossibilité de rien payer à son vainqueur. L’engagement pris à Livadia par le tsar excluant la possibilité d’une compensation territoriale, au moins en Europe, l’auteur du mémoire n’hésitait pas à déclarer que l’indemnité à exiger de la Turquie devrait être la remise à la Russie de sa flotte, de son matériel naval et de son matériel de guerre. Le Times affecta de tourner cette proposition en ridicule, déclarant que les créanciers anglais de la Turquie avaient un droit de préférence sur tous les meubles de leurs débiteurs, et il assura que le gouvernement de la reine ne laisserait pas détourner un de leurs gages principaux. Malgré cette protestation anticipée des feuilles anglaises, lorsqu’on a vu figurer dans les préliminaires de paix le principe d’une indemnité « payable en argent, en territoire ou de toute autre façon, » tout le monde a compris que cette formule équivoque visait la cession de la flotte turque. Il est aujourd’hui indubitable que cette cession a été demandée et que la Russie veut se créer d’un seul coup une flotte redoutable dans la Mer-Noire en se faisant livrer ces magnifiques bâtimens cuirassés, sur lesquels s’est épuisé l’art des constructeurs anglais.

L’auteur du mémoire que nous rappelons, en mettant au nombre des conditions à imposer par la Russie une modification profonde dans les règles qui régissent la navigation des détroits, rectifiait l’erreur dans laquelle étaient tombés les journaux occidentaux.