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pas à la fois négociant, industriel, banquier ? Sans qu’il soit besoin d’entrer dans le détail, on conçoit que sous une gestion sans expérience et sans contrôle, tantôt les obligations prises par le gouvernement sont garanties par la daïra ou domaine de la couronne, tantôt c’est l’inverse qui a lieu, sans que le khédive ni le gouvernement aient jamais établi très exactement leur bilan respectif.

Le crédit du vice-roi commençait à être fort discuté, comme celui de son gouvernement, quand fut inaugurée la réforme. Les créanciers, porteurs de bons de la daïra, ne manquèrent pas de se présenter devant les tribunaux mixtes, qui, débutant par un acte de vigueur, rendirent contre le khédive des jugemens exécutoires. On s’aperçut qu’il y avait désormais en Égypte un obstacle à l’omnipotence. Mais qu’allaient faire les créanciers munis de jugemens ? Les poursuites n’eurent pas lieu tout d’abord. Le vice-roi venait de soumettre sa situation à l’Europe, qui lui envoyait une commission pour examiner l’état de ses affaires. A la suite de ses opérations, résumées dans le fameux rapport Cave, paraissaient les décrets de réforme financière de mai 1876, portant unification de la dette égyptienne et séparant les dettes de la daïra de celles de l’état. Pour mieux marquer la rupture avec les anciens erremens, Ismaïl-Pacha faisait saisir à l’improviste par des sbires son ministre des finances, qui, jeté dans une voiture et emmené au fond de l’Égypte, fut confiné à Dongola.

Toutefois ces mesures radicales, mais tardives, n’amélioraient en rien la position des créanciers directs du khédive, qui, perdant patience, entamèrent des poursuites et tentèrent des saisies-exécutions sur les biens de la daïra. Ces saisies, quoique absolument légales, rencontrèrent une très vive résistance de la part de l’administration khédiviale, qui refusa, de prêter contre elle-même le concours des officiers publics. La magistrature de la réforme, chargée de veiller à l’exécution de ses arrêts, s’inquiéta, et dans une assemblée générale du tribunal on alla même jusqu’à mettre en délibération une protestation collective qui devait être adressée aux gouvernemens européens, et l’on songea un instant, en présence de la violation des lois, à suspendre le cours de la justice. Toutefois une opinion plus modérée prévalut, et l’on s’arrêta à une conduite plus circonspecte. De son côté, le gouvernement laissa espérer un instant une conduite plus correcte, il cessa de refuser aux huissiers l’assistance de la force publique et se contenta de faire opposition aux jugemens rendus par défaut. Cependant un créancier plus tenace ayant persisté à saisir, en vertu d’une sentence exécutoire par provision et nonobstant opposition, l’administrateur de la daïra, dans les bureaux duquel il s’était