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pas entré que toutes les femmes du quartier, échevelées, pleurant, se jetaient sur lui, l’embrassaient, lui baisaient les mains et criaient : « Enfin ! vous voila ! nous sommes sauvés ! » Oui, sauvés en effet, parce que ce seul homme venait de revenir dans sa maison souillée par la commune.

Le ministère était dans un désordre inexprimable ; partout de la poudre répandue, des touries de pétrole brisées, des restes de victuailles, des bouteilles vides, des armes jetées au hasard et jusqu’à des blessés abandonnés au milieu des escaliers. Par l’état dans lequel on retrouvait l’hôtel, il était facile de deviner la grandeur du péril auquel on venait d’échapper. L’amiral donna ordre de rechercher les insurgés que l’on pourrait encore découvrir ; puis il cria : « Au pavillon ! » On s’élança derrière lui dans les escaliers ; il monta jusque sur les toits et fit couper la drisse du drapeau rouge, qui fut amené sous ses yeux. Quelques fédérés, encore embusqués derrière les épaulemens du jardin des Tuileries, tirèrent sur lui et ne le dérangèrent pas. Le 24 mai, le soleil se lève à quatre heures et dix minutes. Il n’était pas quatre heures encore, mais le jour blanchissait et permettait de distinguer les objets ; les gens des Tuileries voyaient donc ce groupe d’hommes debout sur la toiture et ne leur épargnaient pas les balles. On hissa le drapeau tricolore, mais on ne put l’amarrer qu’à mi-mât, ce qui était de circonstance, car les pavillons en berne sont signe de deuil. M. Humann reçut ordre d’aller chercher une compagnie d’infanterie de marine et des fusiliers marins empruntés à la division Bruat, qui occupait le Corps législatif. M. Humann, qui était alors lieutenant de vaisseau, sauta sur lin cheval abandonné dans les écuries du ministère, traversa la place de la Concorde, faillit être tué sur la place du Palais-Bourbon par un obus lancé des hauteurs de la rue de l’Université, et ramena au pas de course une compagnie de fusiliers commandée par le lieutenant de vaisseau Moye et la première compagnie du 2e régiment de marche que conduisait le capitaine Veyne. Lorsque cette poignée d’hommes sauta dans la rue Royale par-dessus la barricade, ce fut un cri de délivrance ; tout ce qui n’avait pas fui, tout ce qui vivait encore dans ce quartier ravagé par l’incendie, se précipita vers ces braves gens et les étreignait en pleurant. Il y eut une immense clameur : « Vive les marins ! » Ces soldats de l’infanterie de marine appartenaient au bataillon du commandant Lambert, de l’existence duquel le tableau les Dernières cartouches a reproduit un épisode. Au moment où les troupes de marine venaient se grouper autour du ministère, le comte Roger (du Nord) accourait se mettre à la disposition de l’amiral Pothuau, qu’il ne quittait plus. Une heure après, là division Vergé prenait possession de la rue Saint-Florentin où les marins avaient déjà éteint l’incendie allumé dans l’hôtel